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CONSCIENCE DE SOI ET CONNAISSANCE DE SOI, COURS : SE RACONTER, EST-CE RACONTER DES HISTOIRES

REFLEXION SUR L'IDENTITE PERSONNELLE ET LA CONNAISSANCE DE SOI : SE RACONTER, EST-CE (SE) RACONTER DES HISTOIRES?

Celui qui a pour projet de « se raconter » fait de lui l'objet d'un récit autobiographique au travers duquel il va : soit dire ce qu’il a vécu, il écrit alors ses Mémoires ou son journal intime; soit tenter de dire ou de divulguer qui il est, dans la démarche d’une confession ou d'une introspection.

Mais « raconte-t-il des histoires » lorsqu'il se raconte, voire « se raconte-t-il des histoires » c’est-à-dire est-il amené à mentir ou à fabuler, peut-être à on insu, inconsciemment, dans tous les cas à falsifier la réalité ?

Notre question met donc en doute la légitimité du discours autobiographique, qui est un genre qui appartient d’abord à la littérature. Philosophiquement : une connaissance de soi est-elle possible ou bien est-elle par principe vouée à demeurer une affabulation ?

*

I/ A QUELLES CONDITIONS UNE CONNAISSANCE DE SOI EST-ELLE POSSIBLE?

 

Michel de Montaigne Essais, Avant-propos de 1580 : " C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit dès l'entrée que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, ce que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eu de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain : adieu donc.

 

De Montaigne, ce premier de mars mille cinq cent quatre-vingt."

 

Cet avant-propos énonce ce qu’on appelle de nos jours « le pacte autobiographique » c’est-à-dire les engagements que prend un auteur envers son lecteur lorsqu'il écrit un récit sur soi ou fait le récit de soi.

Le projet de Montaigne est en effet clairement exposé : il entend révéler, certes à des fins personnelle (domestiques : domus : la maisonnée), une connaissance complète de soi. Dans cette idée il entend se montrer tel qu’il est véritablement : en sa « façon simple, naturelle et ordinaire» ; « sans contention et sans artifice »; à se saisir « au vif », « dans sa forme naïve" (c’est-à-dire native, naturelle), « tout nu » : bref il entend se monter tel qu’il se sait être en lui-même, par delà les artifices ou les conventions de la relation sociale.

Les motifs de l'énoncé du pacte sont évidents : la connaissance suppose  généralement l’objectivité c’est-à-dire une neutralité de jugement que fonde la séparation du sujet qui observe et de l’objet qui est observé. Or dans l’autobiographie, le sujet est en même temps l’objet : Michel parle de Montaigne ; il est donc juge et partie, si bien que son récit peut être à bon doit soupçonné de partialité. D’où la « profession de bonne foi » du pacte autobiographique : l’auteur s’engage à être de bonne foi, franc, objectif, à refuser toute forme de complaisance à soi, il nous promet d'avoir le courage de l’aveu quitte à choquer ou à ternir sa réputation.

Une connaissance de soi est donc de toute évidence possible pour Montaigne. Il ne se questionne pas sur la possibilité de ce projet,  mais seulement sur les difficultés de le conduire; car ce projet repose sur ce qui est à  ses yeux deux évidences :

  • Il existe un Moi.
  • Le Moi est connaissable par le sujet lui-même.

 

Est évident ce qui est hors de doute, parce que sa vérité s'impose par soi.

Il est évident que nous avons un Moi et que ce Moi est connaissable parce que ce sont là des "données immédiates de la conscience" : Être un être conscient, c’est en effet, si on décompose, se savoir être soi donc, dans le même mouvement, savoir qu’on est et savoir qu’on est soi. Il suffit alors d’un instant d’attention pour savoir qui on est soi et d’un peu de réflexion pour en faire la théorie : savoir qu’on a un Moi.  

Un Moi c'est-à-dire selon les termes de la psychologie, qui rejoint ici le sens commun, le support stable des états psychiques et affectifs de la personne. Le sens commun parle lui du caractère, de la personnalité, quelquefois de la nature de la personne. Le Moi est donc censé garantir l’unicité et la permanence de la personne d’un individu, être le fondement ontologique de son identité. Il est donc pensé spontanément dans une perspective essentialiste, comme noyau central stable de la personnalité, qui en garantit l’identité.

 

Quant au terme essentiel d'identité, il vient du latin idem qui signifie "le même" : deux choses sont identiques si elles ne diffèrent en rien (elles sont les mêmes). Référée à une chose unique, l’identité signifie que cette chose ne change pas, qu’elle ne diffère pas d’elle-même. L'identité c'est donc d'abord le fait de demeurer le même, tout au long du temps ou de la diversité des situations dans lesquelles nous sommes placés. C'est ensuite ce qui est censé assurer cette permanence sans changement, fonction qui est dévolue au Moi dans l’analyse classique.

 

DES RAISONS D’AFFIRMER QUE LE MOI EXISTE…

Que chacun soit doté d'un Moi et puisse le connaître tel qu'il est cela semble d'abord relever de l'évidence comme nous le disions précédemment.

Déjà chacun fait une différence entre ce qu'il est et les rôles sociaux qu'il est amené à assumer (élève, professeur etc), bref entre la personne et le personnage.

Ensuite chacun constate l'identité sinon de sa personnalité, au moins de sa personne : car si tout change avec le temps, y compris soi-même, il faut toutefois exclure que ce changement puisse être radical : vous êtes déjà bien différents de l'enfant ou du pré-adolescent que vous étiez, pour ne rien dire de l'homme ou de la femme mûrs que vous serez : et pourtant vpus serez toujours vous, vous resterez la même personne. Ajoutons que l'idée d'un changement radical –ce serait alors une métamorphose- est exclue, car pour pouvoir constater un tel changement, il faudrait pouvoir prendre conscience de la modification qui nous affecte ; ce qui supposerait l'unité de la personnalité au travers des modifications qui peuvent l'affecter, c'est-à-dire son identité. Un changement, dirait-on, ne peut être que de surface : "Si tout changeait, disait Alain, qui saurais que tout change?"

 

Enfin cette identité de la personne est nécessaire à la morale à la justice : devait-on renoncer à juger Klaus Barbie ou Eichmann au motif qu'ils n'étaient plus les mêmes vingt ou quarante ans après les faits?

DES RAISONS D’AFFIRMER QUE LA RELATION A SOI EST VERIDIQUE…

Quant à la relation à soi, elle ouvre de toute évidence la possibilité d’une connaissance de soi. Pour s'en convaincre, il suffit de remarquer l’impossibilité d’un mensonge à soi-même.

Mentir c’est en effet à strictement parler dire ce qui n’est pas tout en connaissant ce qui est. Le menteur connaît donc la vérité qu’il cache à autrui; il peut le tromper mais non se tromper soi (je vous prie de ne pas confondre mensonge et illusion...). Cela peut aussi se comprendre sans raisonnement, intuitivement : la conscience est intuition de soi; nous sommes nos contenus de conscience, qui sont donc nécessairement connus de nous : personne ne donc peut ignorer ce qu'il pense et ce qu'il est.

Et c'est pourquoi le problème de l'objectivité qu’on oppose souvent à l’auteur d’une autobiographie est un faux problème : puisque l’auteur ne peut rien ignorer de ce qu’il est, son objectivité parfaite est donc possible en principe ; même si un tel auteur n’a encore jamais existé, il n’est pas exclu qu’il existe un jour.

Il semble donc que l'autobiographie soit possible, et qu’on puisse en dessiner sans peine la philosophie sous-jacente : c’est une philosophie dans laquelle la conscience apparaît comme le véritable sujet. Cette philosophie, c'est celle de Descartes. J’en expose sommairement les points essentiels.

 

LE SUJET. DESCARTES : LA CONSCIENCE EST SUJET.

Descartes développe dans Les méditations métaphysiques une pensée de la subjectivité et de l’identité du sujet qui légitime la démarche autobiographique.

Méditer, cela n’est pas raisonner ou réfléchir ; c’est se rendre attentif à ce qui est, ce qui suppose une mise distance du monde extérieur, une mise entre parenthèse des occupations et des préoccupations du quotidien : il faut se retirer du monde, se retirer de l’action, afin de mieux se retirer en soi. La méditation permet donc de passer de ce qui à est aux conditions de possibilité de ce qui est. Elle en fait apparaître les présuppositions, les pré-suppositons (par analogie : une photographie montre toujours deux choses : ce qu’elle représente –un paysage mettons- et ce qui conditionne ce qu’elle représente, le regard du photographe).

Or lorsque l'être médite il est amené à une certitude première et absolue, à une présupposition première et absolue, donc à un principe, celle de son existence. C'est le moment du cogito : "je pense, donc je suis"; "je suis, j’existe".

Je suis, cela est donc certain et cela le reste même lorsque cette évidence ne m’occupe pas l’esprit : il faut donc bien que quelque chose fasse que je demeure et demeure moi (que quelque chose fonde l’identité du sujet). D'où Descartes conclut : je suis une chose (res) dont toute l’essence est de penser (« cogitans", « res cogitans ») c'est à dire, dit-il encore : une âme, un Moi.

Le Moi est donc pensé comme la racine de chaque existence et son antériorité comme la condition de possibilité d’une expérience quelconque de la réalité. Il est pensée comme chose (res) première et absolue ce qui dans le langage de la scolastique s’appelle une substance : ce qui existe en soi et par soi.

 

Ainsi avec Descartes le sujet s'identifie à la conscience de soi. Il est donc exclu que ce qui constitue le moi puisse échapper à la conscience. Il y a au contraire une stricte identité entre la conscience et le moi, entre la conscience et la pensée. Ce qui signifie que la pensée est nécessairement consciente, donc connue : tout ce que je pense, tout ce que je fais, mes motifs et mes mobiles sont connus de moi.

Descartes : «Par le nom de pensée j'entends tout ce qui se fait tellement en nous que nous en sommes immédiatement connaissant par nous-mêmes. C’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose que penser ». Principes de la philosophie.

La connaissance de soi, et toutes les formes du discours autobiographique semblent donc philosophiquement fondées puisque ses deux conditions (existence d’un Moi et véracité de la conscience de soi) paraissent réunies.

Mais si tel est le cas comment expliquer qu’on puisse quelquefois ne pas se reconnaître : lorsqu’on relit une lettre ancienne ou le journal intime de son enfance ou du début de son adolescence ? Ou lorsque à vingt ans de distance on peine à se retrouver dans celui qu’on était?

Comment expliquer d'autre part que le sens de certaines de nos penséeS ou de nos conduites puisse nous échapper comme en témoignent les rêves ou les actes manqués ?

 

II/ JE, EST-CE BIEN MOI?

Reprenons un peu notre réflexion.

Je, c’est la conscience de soi au présent. Et qui peut nier qu’il existe et qu’il est singulièrement lui ? Je suis, cela est certain, et je suis bien moi au sens où je fais l’expérience de l’identité (la « mêmeté ») de ma personne : on n’échappe pas à Descartes comme cela. Mais quant à ce que je suis, quant à la nature de cela que je suis, la réflexion est permise.

Je dis que je suis moi, évidemment. Mais ce qu’est-ce qui doit être entendu dans le pronom Moi ? Qu’est-ce qui se prononce lorsque je dis « c’est moi » ? Il y a bien un “quelque chose” qui est, ce qu’exprime le « je suis ». Mais s'agit-il bien comme le dit Descartes d’une substance, d'une réalité en soi et par soi possédant des propriétés stables, qui serait comme telle l’objet possible d'une connaissance? Descartes pense –au fond très logiquement, avec une vieille routine de logicien- l’identité de la conscience de soi comme substance. Le Moi est substance pour Descartes (res cogitans). Mais est-ce là une certitude ou une interprétation de l’ « être au monde » de la conscience?

 

DES RAISONS DE DOUTER DE LA REALITE DU MOI…

Une première raison

David Hume (1711-1776) a eut le génie de nous faire remarquer que lorsque nous parlons de notre propre Moi, avec la certitude d’en posséder un, nous parlons abusivement car nous n'avons aucune expérience d’un Moi. L’expérience étant une source nécessaire de la connaissance, autant le dire carrément : nous n’avons pas de Moi : « Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment, sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps je n'ai plus conscience de moi et on peut vraiment dire que je n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse plus ni penser, ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait mort. » Traité de la nature humaine, I, 4.

Comme on le voit cet auteur examine la relation à soi avec une grande rigueur, en veillant scrupuleusement à ne pas en dire plus que nous en pouvons percevoir. Il procède suivant la démarche de l’empirisme qui fait du « dehors » que constitue l’expérience la source et le critère de toutes nos connaissances ; l’empirisme nous apprend ainsi à nous méfier des habitudes langagières et de la routine logique qui faussent généralement nos pensées (je me sens être et demeurer le même (je suis); donc j’ai un moi : voilà ce qui est abusivement dit pour Hume) ;

Car que montre une attention honnête à l’expérience que nous avons de nous mêmes ? Que nous n’avons jamais l’expérience d’un Moi mais toujours une perception particulière et ponctuelle de soi liée à un certain état de la réalité extérieure (chaud, froid, amour, haine etc). La conscience de soi n’est donc pas la conscience d’un moi mais la conscience d’un certain état de son être dans une certaine situation. Le Moi n’est donc qu’un mot, il n’a de réalité que verbale.

 

Une deuxième raison

La critique de Hume peut être prolongée et même radicalisée par la compréhension de l’existence telle que la phénoménologie l’expose. Je vais l’introduire par un exemple.

Charles de Gaulle, comme vous le savez, joue un rôle historique majeur pendant la seconde guerre mondiale puis dans l'histoire politique de la France des années 1945 à 1969. Il écrivit dans les années soixante ses Mémoires (Mémoires de guerre puis Mémoires d'espoir, 2 tomes).

Voilà le problème que nous nous posons :

Quand De Gaulle est-il né? Qui est-il vraiment ?

Est-il né le 22 novembre 1890 comme l’indique l’état civil? Ou bien le 18 juin 1940, lors que son fameux appel à la France libre (ou plutôt la veille, lorsqu’il décide –lui un militaire- de désobéir)? Ou bien en 1958, lorsqu’il force son retour au pouvoir après onze années d’oubli? Ou bien en 1968, qui le voit fuir les événements de mai à auprès des troupes positionnées à Baden-Baden ? Ou en 1969, année où il quitte le pouvoir suite à un référendum dont il prend le résultat comme un désaveu?

Est-il ce soldat discipliné, nationaliste et maurrassien ? Il l’est bien, près de cinquante ans durant, mais ce n’est plus vrai en 1940. Le De Gaulle que l’histoire retient, et qui s’ignorait lui-même jusqu’à son acte de désobéissance naît bien en juin 1940, en posant un tel acte. De Gaulle se retira ensuite de la vie politique en 1947, et dix ans après, autant dire qu’il n’est plus rien, au moins politiquement. Mais il se laisse convaincre de revenir au pouvoir en 1958 dans des circonstances troubles et frôlant le coup d’Etat. L’acte de son consentement fait jaillir une nouvelle lumière sur son être et oblige à reconsidérer le récit de son existence, le sens qu’il faut lui donner et l’identité qui est la sienne : est-il l’homme d’un coup d’Etat ? Un putschiste ? La suite nous apprendra que non, mais la suite n’est pas encore décidée à cette date etc.

Imaginez maintenant De Gaulle rédigeant ses Mémoires, parlant de l’histoire et de lui, entre chacune de ces dates clefs... Autant de brouillons à livrer aux flammes.

Dans L'existentialisme est un humanisme Sartre explique qu'on ne peut comprendre l'homme qu'en prenant pour point de départ la subjectivité (il n’y a de réalité que vécu par un sujet, qui est au prise avec elle). Suivant ce principe il affirme que l’existence précède l’essence et qu'il n’y a pas de nature humaine : l'homme (l'homme en général comme l’individu) n'est que ce qu'il se fait, et il se fait au travers ce qu’il fait, c’est-à-dire à travers les actes qu’il pose ou les projets qu’il poursuit. Cela revient à dire que l'homme n'a pas d'identité ou de Moi : l'homme est son propre auteur, son propre créateur et son identité reste littéralement indéfinie tant qu'il vit et donc possède le pouvoir de poser un acte, d'instituer une fin.


Cela peut se comprendre aussi à travers la formule que Malraux fait prononcer à un de ses personnages : "La mort transforme la vie en destin", ce qui peut se comprendre de deux façons :

à Ce n’est qu’avec la mort que la vie (l’existence) devient destin (ordre inéluctable, détermination) ; tant qu’un sujet vit, il n’est pas déterminé ;

à En restant maître du choix de sa mort, l’homme reste maître de la détermination de son identité. L’acte ultime par lequel un homme choisirait sa mort redéfinirait rétrospectivement le sens de son existence et le contenu de son identité : pensons à un meurtrier qui trouverait la mort dans un acte de bravoure désespéré (sauver un enfant de l’incendie de sa maison). Il n’est plus le même avant et après cet acte.

 

CONSEQUENCES POUR L’IDEE D’UNE CONNAISSANCE DE SOI…

C'est pourquoi l'autobiographie, lorsqu’elle prétend à la connaissance de soi, est toujours impossible ou mensongère ; car sa logique est incompatible avec l’objet qu’elle vise : l’autobiographie trahit la bio (bios : la vie) dont elle se veut le graphe (le dessin, l’écriture). En effet l’autobiographie est un récit, donc une structure finalisée et qui procède par rétrospection, ce qui crée l’illusion de la substantialité / de l’identité du moi (ceci parce qu’elle se fonde sur la conscience réflexive); tandis que l’existence est contingente et projective (parce qu’elle est le fait de la conscience immédiate).

En effet lorsque l’écrivain écrit il est obligé de sélectionner les faits et les souvenir ; il procède à un tri de façon à pouvoir totaliser son existence –et seulement son existence passée- dans un tout cohérent. Mais pour cela il a besoin d’un point de vue que seul le présent, c’est-à-dire ce qu’il est devenu, ce qu’il est à présent peut lui donner. L’écrivain est ici comme l’historien, prisonnier d’un présent qui finalise et récapitule dans un tout cohérent un passé qui lorsqu’il était présent étaient incertain et ouvert, indécis, et qui était donc vécu dans l’angoisse. On voit bien là l’impossibilité de principe de tout récit autobiographique : l’écrivain n’est plus le même, il n’est pas, ne peut pas être le contemporain de celui qu’il fut : De Gaulle en 1945, à l’issue de la guerre, n’est plus cet homme angoissé qui gravit les marches de l’avion qui va le conduire en Angleterre le 17 juin 1940. Il connaît l’issue de la guerre; il n’est plus dans le climat d’incertitude angoissée qui a accompagné ses choix. L’écrivain qu’il deviendra ne pourra donc que relater le passé comme s’il devait logiquement et nécessairement aboutir au présent : le récit autobiographie introduit de la nécessité là où l'existant vit la contingence.

Il apparaît donc clairement qu'aucun récit de type autobiographique ne peut se prévaloir d’être à une connaissance de soi d’abord faute d’objet, un Moi au sens de Descartes ou de la psychologie classique, pensé comme une essence, ou une substance.

 

MAIS ALORS, QUI EST LE QUI DE LA QUESTION "QUI SUIS-JE?" ?

Si Je n’est pas Moi, quelle est alors la nature de l’être que je suis ?

Pour Sartre il s’agit juste de l’être d’une présence qui éprouve sa consistance et sa réalité dans l’engagement, au sens que lui donne cet auteur. Un homme est et n’est que la totalité de ses actes, totalité qui ne se totalise qu’avec la mort et donc pour autrui (je ne suis objet que pour autrui, et complètement objectivé qu’avec ma mort). Dès lors connaître autrui ou se connaître soi-même ce n’est pas disséquer les méandres d’une personnalité, d’une intériorité, mais décrire le trajet subjectif qu’est une existence. La forme biographique ou autobiographique n’est alors légitime que lorsque s'efface le projet d’une connaissance du Moi ; dans le cadre de la chronique ou de la démarche de compréhension du projet qu'est une existence à quoi s’est essayé Sartre dans Les mots (son autobiographie), ou en écrivant la biographie de Flaubert (L’idiot de la famille) ou un essai de type autobiographique sur Jean Genet (Jean Genet, comédien et martyr).

Mais ces démarches elles-mêmes ne rencontrent-elles pas une autre  limite? En effet dans leur cas nous supposons la clarté de l'expérience subjective c’est-à-dire que nous supposons que nous avons conscience de tout ce que nous sommes et que nous sommes vraiment tels que nous avons conscience de l’être. Pourtant lorsque nous observons un tiers, nous nous rendons compte que bien souvent il agit pour des motifs dont il n’a pas conscience. Pourquoi cette observation sur autrui devrait-elle s’arrêter à soi ?

 

III/ SE RACONTER, NE SERAIT-CE PAS AUSSI SE RACONTER DES HISTOIRES?

C’est pourquoi on peut se demander si se raconter ce ne serait aussi se raconter des histoires, c’est-à-dire se tromper sur soi en dépit de toute sa bonne foi, de toute sa véracité.

Mais comment cela peut-il être possible si est écartée la possibilité d’un mensonge à soi-même? Il faudrait supposer que la relation à soi soit au moins en partie illusoire, puisque dans l’illusion le sujet perçoit ce qui est comme autrement qu’il est (Pensez à un trompe-l’œil par exemple). Ce qui n'a de sens qu'en supposant l’existence d’une partie inconsciente de la pensée, d'un "inconscient psychique"

Que faut-il entendre par inconscient psychique? Quelles en sont les manifestations? Avons-nous des preuves de sa réalité?

DEFINITION ET MANIFESTATION DE L’INCONSCIENT

« Normalement, rien n'est pour nous plus assuré que le sentiment de notre soi, de notre moi propre. Ce moi nous apparaît autonome, unitaire, bien démarqué de tout le reste. Que cette apparence soit un leurre, qu'au contraire le moi se continue vers l'intérieur, sans frontière tranchée, dans un être animique inconscient que nous qualifions de ça, auquel il sert en quelque sorte de façade, c'est ce que nous a enseigné, la première, la recherche psychanalytique. » Freud, Malaise dans la Culture, I.

L'inconscient psychique est ici revendiqué par Freud comme une découverte originale de la psychanalyse. Puisque l’emploi du terme inconscient est antérieur à Freud, il ne faut pas confondre l'inconscient psychique de la psychanalyse avec les sens qu’on donne habituellement au terme inconscient : on désigne par là les automatismes de comportements, l'inattention, ou, dans un autre registre la témérité ou la négligence (« faire preuve d’inconscience »).

Pour Freud l'inconscient désigne cette partie de l’activité de sa pensée qui n'est pas perçue par le sujet. L’inconscient correspond alors au refoulé c’est-à-dire à des tendances psychiques qui sont rejetées hors du champ d’attention de la conscience mais qui exerce une influence sur elle. Le refoulement est ainsi un processus d'occultation qui, en rejetant certaines tendances qui visent à la représentation consciente produit les états de conscience comme expression du refoulé.

D’autre part l'inconscient est présenté par Freud comme une sorte de soubassement du moi, qui n’est que sa « façade », ce qui suggère que l’essentiel de l’édifice psychique se trouve caché aux regards. C'est donc que pour Freud le moi, sujet conscient, est dans une perception illusoire de lui-même, tant sur le plan psychologique que moral:  ’d'abord il ignore l’existence d’une de ses parties constitutive (« leurre « ); ensuite il pense constituer une sphère de décision autonome, être maître de son action et de ses représentations (« apparence d’unité et d’autonomie »).

Ces affirmations sont lourdes de conséquences pour la représentation de l’être humain et de ses obligations juridiques et morales. C’est pourquoi il faut demander à Freud ce qui l’autorise à affirmer l’existence de l’inconscient. Comment peut-on affirmer l'existence de ce qui par définition ne peut pas être perçu le sujet et qui pourtant est censé le constituer ? Comment peut-on affirmer l’existence d’un inconscient psychique ?

QUELLES PREUVES FREUD APPORTE-T-IL DE LA REALITE DE L'INCONSCIENT?

Déjà concevons bien le problème que pose l’idée d’un inconscient psychique : si un état est conscient, alors il perçu par nous, connu de nous. Et logiquement s’il est inconscient il est imperceptible donc inconnaissable. D’où l’apparente aporie de l’affirmation freudienne.

Freud avait tout à fait conscience de ces difficultés ; il s’est efforcé d’y répondre complète dans un texte célèbre du chapitre XII de son œuvre Métapsychologie.

 

Freud veut apporter un démenti définitif à tous ceux qui refusent l’idée d’une activité inconsciente de la pensée. Le camp des sceptique est divers : les uns le sont pour des raisons logiques, d’autres pour des raisons philosophiques (les cartésiens) d’autres, souvent les même, pour des raisons morales (si l’inconscient existe, quid de la responsabilité du sujet ?) ou religieuses.

Pour leur répondre, Freud place son analyse sous l'égide de la science. Il entend reproduire la méthode des sciences expérimentales telle que le physiologiste Claude Bernard l'a définie, en trois temps : le temps de l’observation des phénomènes; le temps de la formulation des hypothèses; le temps de la vérification expérimentale de l’hypothèse, qui sera validée ou réfutée.

D’où les étapes du raisonnement de Freud qui entend montrer : d’une part que l’observation objective des phénomènes rend l’hypothèse de l’inconscient nécessaire ; ensuite qu’elle est théoriquement légitime ; enfin qu’il possède des preuves de la validité de cette hypothèse.

1. Freud dresse un tableau clinique des phénomènes dans lequel il fait figurer les symptômes dont souffrent ses patients, mais aussi des choses plus banales auxquelles chacun d’entre nous est sujet comme les rêves, les lapsus, les intuitions, les inspirations subites. On pourrait prolonger en parlant des actes manqués (les maladresses de comportement : renverser un verre qu’on veut saisir par exemple, et maculer de vin la belle nappe blanche offerte par belle-maman...). Tous ces phénomènes sont généralement écartés, ignorés ou tenus pour insignifiants : on les ramène à de simples maladresses, à des actes dus à l’inattention. Mais du coup ils deviennent inexplicables : comment expliquer cette distraction de la conscience ? Ou son échec, lorsque par exemple il nous est impossible de nous remémorer le nom d’une personne familière, de corriger un travers de comportement : l’oubli de ses clés etc). Inversement, ces phénomènes trouvent un éclairage intéressant, mieux, une explication, lorsqu’on on suppose on présuppose une activité inconsciente de la pensée.

2. N’est-ce pas alors ce qui justifie l’hypothèse de l’inconscient même si elle va à l’encontre de l’expérience immédiate et de son apparent bon sens ? Car si la supposition de l’inconscient permet de donner une explication à des phénomènes considérés comme insignifiants ou a-signifiants en leur donnant un sens, alors cette hypothèse doit être au moins retenue, considérée comme théoriquement valable. Telle est bien l’intention de Freud pour qui « tous les faits psychiques ont un sens » : c’est le principe heuristique (le principe de travail) de la psychanalyse.

3. Enfin si à l’aide d’une telle construction théorique Freud parvient à établir une thérapeutique efficace, qui guérit des patients en les libérant des affections dont ils souffrent alors cette hypothèse aura été suffisamment vérifiée. Freud fait ici allusion à la cure psychanalytique et aux succès thérapeutiques qu’il lui attribue.

4. L’ensemble de la démonstration amène Freud à tenir l’existence de l’inconscient pour scientifiquement établi ; l’inconscient est selon lui un fait scientifique dont le rejet peut seulement s’expliquer par une attitude de déni, qui n’a rien rationnelle. Le conscient n’est qu’une partie de la pensée, et le sujet qui croit avoir l’intuition de son être et de son être en totalité se leurre. Il est dans une représentation illusoire de soi.

La démarche psychanalytique met donc en évidence que la relation à soi n'est pas une relation intuitive à travers laquelle nous nous pourrions nous saisir "au vif" suivant le souhait de Montaigne. Pour Freud la pensée est une réalité complexe ayant ses lois de fonctionnement dont la conscience n'est que la partie émergente et le produit. Dès lors si l'interprétation psychanalytique est une démarche pertinente, on doit convenir que ce que nous nommons moi se présente comme une réalité obscure, qui doit être déchiffrée (rôle de l'analyse). Se “connaître”, si cela a encore un sens c'est alors : d’une part ne pas méconnaître cette part d’obscurité que recèle nos conduites ou nos énonciations conscientes ; d’autre part découvrir par l'interprétation le réseau des déterminations qui constituent notre manière d’être au monde.

 

CONCLUSION : Nous savons maintenant que se raconter c’est nécessairement soit raconter des histoires soit se raconter des histoires et que le projet d’une connaissance de soi est illusoire. Une connaissance de soi n’est en effet pas possible faute d’objet, le Moi, et parce que la relation à soi n’a pas la clarté qu’on lui suppose naïvement, l’existence de processus de pensée inconscients rendant impossible l’élucidation complète de la subjectivité individuelle.

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