PEUT-ON PARLER D’UNE VERITE DE L’INTERPRETATION EN ART ?
1. Les notions. Le problème dont il est question.
L’art
Deux sens à distinguer :
--> L'ensemble des activités ayant pour but la production d’œuvres dont la finalité est essentiellement expressive et esthétique (peinture, littérature, sculpture etc : les beaux-arts).
--> La capacité à produire qui, à la différence d'une technique, ne s'apprend pas. Le terme “art” est alors synonyme de talent, de don (cf. « Il a l’art de tout simplifier » : il possède un talent pour cela; "c'est tout un art", expression qui suggère que certaines réussites dépendent d’un facteur personnel et n’est par à la portée de n’importe qui).
L’Interprétation
On peut interpréter un geste, une attitude, une parole, un texte, un rêve, un rôle, un morceau de musique ou une chanson etc.
L’interprétation a donc deux sens principaux :
--> Soit la démarche qui a pour but la compréhension du sens de certains phénomènes et qui est rendue nécessaire lorsque ces phénomènes sont équivoques, ambigus. Il y a interprétation dès qu’on est amené à s'interroger sur la signification, sur "ce que ça veut dire".
--> Soit, dans le domaine des arts dits d’interprétation, l'exécution de l'œuvre : lorsqu’un acteur joue un rôle, lorsqu’un pianiste joue une sonate etc. on dit qu’ils l’interprètent. Interpréter c’est jouer.
L’unité de ces deux sens tient au fait que l’interprétation est nécessaire dès que le sens n’est pas immédiatement donné ou évident, qu’il doit être recherché ou produit, rendu manifeste.
Interprétation, démonstration et explication
--> Démontrer c’est exposer la nécessité logique qui lie certains concepts ("si une figure est un triangle alors la somme de ses angles égale 180°" ; "Il n’existe pas de droit du plus fort car si c’est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause.").
--> Expliquer c’est énoncer la relation nécessaire qui lie un effet à sa cause : "le fer rouille par oxydation (incorporation d’un d’atomes d’oxygène dans sa composition : formation d’un oxyde de fer) ; "les inégalités augmentent sous l’effet des politiques néolibérales".
Démontrer et expliquer conduisent à un résultat qui certain, objectif et unique.
A l’inverse l’interprétation semblera au mieux plausible, et il existe nécessairement une pluralité d’interprétations pour chaque phénomène étudié.
Enfin si tout raisonnement peut se formaliser comme un calcul, ce qui rend possible son traitement par une machine, l’interprétation est impossible sans l’activité d’un sujet interprétant; elle comporte une irréductible dimension de subjectivité. Par exemple l’interprétation des événements de mai en 1968 dépend de l’historien qui la propose et du parti-pris doctrinal qui est le sien : l’historien marxiste y voit une crise sociale, l’historien libéral une crise sociétale, l’historien conservateur une forme de gigantesque récréation.
Mais lorsqu'on parle couramment d'interprétation on pense le plus souvent au domaine de l'art.
L'interprétation en art : ici les deux sens du terme peuvent être convoqués. L’interprétation désigne :
--> soit l’herméneutique de l’œuvre d’art (ce qu'elle veut dire, la signification dont elle est porteuse).
--> soit l’exécution de l'œuvre (jouer une partition ou un rôle).
L’implication entre art et interprétation est une évidence :
--> Il y a des arts qui sont spécifiquement des arts d’interprétation (le théâtre, le cinéma, la musique, la danse) dans lesquels les œuvres n’existent que si elles sont jouées : le rôle d' Hamlet (on parle d’ailleurs de créer un rôle) ou le Requiem de Mozart.
--> Les œuvres d’art sont des catégories d’objets qui sollicitent notre attention et notre jugement : une œuvre d’art est un objet intentionnel proposé à l’appréciation d’un public et dont la signification et la valeur font l’objet d’un jugement personnel (qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que c'est beau ?).
Art et vérité : cette fois l'association des notions a de quoi étonner. On serait d’ailleurs tenté de penser que le mot vérité n’est présent ici que de façon figurée, à la place des mots « juste, touchant, sublime, grandiose, belle » qui peuvent qualifier une interprétation.
La vérité c'est en effet la conformité du jugement et de l'objet du jugement : on me demande ce que je suis en train de faire; je réponds que je suis en train de rédiger un cours : voilà qui est vrai. A l'inverse on ne voit pas comment on pourrait dire du poème L’albatros de Baudelaire qu’il est vrai ou faux : il est beau, profond ou non etc. Pourtant on ne peut nier que la grande exécution nous donne le sentiment de voir les choses telles qu’elles sont, dans leur vérité ; ou, inversement, que certaines interprétations sont des contresens.
On peut alors s’interroger sur l’interprétation de l’œuvre d’art, dans les deux sens du terme. Ce qui nous amène alors à nous demander ce qui fait la valeur d’une interprétation.
--> Qu’est-ce qui distingue une bonne d’une mauvaise interprétation ?
--> Est-ce qu’on peut parler de la vérité d’une interprétation en art?
2. L’herméneutique de l’œuvre d’art
La pluralité des interprétations : l’œuvre n’a pas un sens mais autant qu’on en peut trouver.
Soit la déclaration du poète Paul Valéry à propos de son poème Le Cimetière marin : « Si on s'inquiète de ce que j'ai voulu dire, je réponds que je n'ai pas voulu dire mais voulu faire et que c'est cette intention de faire qui a voulu ce que j'ai dit. » Et plus loin : « Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autorité de l'auteur. Quoiqu'il ait voulu dire, il a écrit ce qu'il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens ; il n'est pas sûr que le constructeur en use mieux qu'un autre. »
S’il n’y a pas de vrai sens d’un texte littéraire ou d’une œuvre d’art en général, il est impossible et vain de vouloir imposer l’unicité d’une interprétation. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’œuvre est susceptible d’avoir n’importe quel sens : des interprétations peuvent être farfelues (Avatar de J. Cameron est un hommage à la couleur bleue), délirantes (c’est une dénonciation de la vie chère), donner lieu à contresens (c’est une défense de l’impérialisme conquérant) ; ou bien être insatisfaisantes parce que partielles, incomplètes (c’est une ode écologique). Qu’est-ce alors qu’une bonne interprétation ?
L’herméneutique de l’œuvre d’art : Soit le tableau de Georges de la Tour (1593-1652)
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