La réalité c'est ce qui est. La vérité c'est la conformité du jugement à son objet c'est-à-dire la connaissance de ce qui est.
Mais il ne suffit pas de dire vrai pour posséder la vérité, il faut aussi savoir que c'est le vrai.
La vérité a donc une face objective (elle est connaissance de ce qui est tel qu'il est) et une face subjective (l'esprit doit être certain que c'est la vérité). Il y a donc des conditions, objectives et subjectives, à la vérité.
Qu'est-ce qui nous rend certain de l'excatitude de notre représentation de ce qui est?
En apparence, deux choses : soit une démonstration; soit une preuve.
qui produit la certitude
"
Dès lors : pour parvenir à la vérité, faut-il nécessairement suivre le chemin de la démonstration ou de l'expérimentation? En particulier : la démonstration est-elle la condition de toute vérité ? En effet, est-il possible de tout démontrer ? Plus généralement, l'ensemble des phénomènes existants ne peuvent-ils être connus que suivant une procédure intégralement rationnelle?
Des raisons de penser que toute vérité dépend d'une démonstration
Exemple : on peut démontrer par l’absurde que la racine carré de 2 n’est pas un nombre rationnel étant donné que si tel était le cas
Leçon : La démonstration nous fait faire l’expérience de la nécessité (il ne peut pas en être autrement) et de l’universalité du vrai (le résultat s'impose pour tout esprit). Le résultat est . La démonstration mathématique semble alors le modèle idéal et la condition de toute connaissance.
Dans l’histoire humaine, il y a un avant et un après la démonstration. On dit que Pythagore est le premier homme à produire une démonstration (le théorème de Pythagore). A cette occasion il sacrifie cent bœufs (littéralement il fait une "hécatombe") pour célébrer l’événement. Quel sens donner à l'anecdote, même légendaire?
--> Avec la démonstration l'esprit est face à un discours qui ne se discute pas, qui est hors de doute. Ce qui fonde la possibilité d’un savoir absolu, donc d’une réfutation définitive des préjugés et des croyances irrationnelles. On peut grâce à elle espérer dépasser les désaccords et les conflits qui divisent les hommes au sujet du vrai et du faux (la connaissance), du bon et du mauvais (la morale, l'éthique), du juste et de l'injuste (la politique). autre norme de la vérité que l'autorité de la tradition (du mythe à la raison) .
Cf. Spinoza (1642-1675), qui célèbre le pouvoir libérateur des mathématiques. Elles nous ont donné l'idée, dit-il, une compréhension de la vérité, dont elles fixent la norme (l'évidence de l'idée vraie, qui s'impose d'elle-même à l'esprit). ce faisant les mathématiques nous ont délivrés de l’emprise du préjugé ou de la superstition.
CF. Ethique, I, Appendice : [à propos du préjugé finaliste ou de l’explication par la volonté divine] : «Ils ont donc admis comme certain que les jugements de dieu passent de bien loin la compréhension des hommes : cette seule cause eût pu faire que le genre humain fût à jamais ignorant de la vérité, si la mathématique, occupée non des fins mais seulement des essences et des propriétés des figures, n’avait fait luire devant les hommes une autre norme de vérité. »
« Ils » : ceux qui se réfugient dans la volonté de Dieu comme « dans l’asile de l’ignorance » : qui expliquent les événements fâcheux non pas rationnellement, mais par l'action d'une volonté surnaturelle : une tuile tombe sur la tête d’un passant, il meurt. La recherche d'un "pourquoi" (cause finale) est irrationnelle. Seul le "comment"(cause efficiente) à un sens.
Pour Spinoza la démonstration mathématique est donc le modèle et la forme de toute connaissance : il n'y a de vérité dans la connaissance qu’autant qu’il y a de mathématique en elle. Mais des démonstrations sont-elles possibles dans les autres domaines du savoir ?
Pour Spinoza aucun doute : L’Ethique est rédigée sur le modèle des Eléments d’Euclide ("more geometrico")
Pourtant il y a une différence entre raisonnement mathématique et raisonnement philosophique.
Mathématiques :
--> Exactitude du calcul ou logique pure des équivalences formelles.
--> Idéalité des objets.
--> Absence d’ambigüité du langage formel.
Philosophie :
--> Sémantique des concepts.
--> Sur des objets réels et non idéels (il est impossible de tracer aucun cercle parfait);
--> dans des langues naturelles ambigües (la notion d’égalité n'a pas le même sens en français et en mathématique; le point n'est pas représentable puisqu'il est sans dimension etc).
Peut-on alors parler de démonstration philosophique ?
Un exemple
Rousseau (1712-1778), Du Contrat Social, Du droit du plus fort : « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe: Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot? La force est une puissance physique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir?
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable. Car sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse? S'il faut obéir par force on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on n'est plus forcé d'obéir on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force; il ne signifie ici rien du tout.
Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois: non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner? Car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours. »
LE TEXTE :
--> Sur le plan formel il est d'une parfaite logique : respect des principes de non-contradiction et du tiers exclu. Définition stricte des concepts. Emploi rigoureux durant le raisonnement.
--> Sur le plan matériel : les exemples sont conformes au raisonnement abstrait.
Donc : Rousseau réfute formellement (sur le plan logique) et matériellement (sur le plan de l’accord avec l’expérience) l’idée d’un droit du plus fort, qui s'avère aussi contradictoire que l'idée d’un cercle carré. Nous savons donc qu’un pouvoir politique tirant son origine de la force est illégitime, quelle que soit l'ancienneté de son établissement. Nous n’avons donc aucune obligation d’obéir à un tel pouvoir, bien plutôt nous avons le devoir que nous opposer à lui.
Nos deux exemples illustrent la force de la démonstration en matière de vérité. Celle-ci semble la voie idéale de toute connaissance.
Cependant :
--> Si A alors B, si B alors C, donc : si A alors C. Donc :
--> Tous les hommes sont mortels, Socrate est un Homme, donc Socrate est mortel. Mais :
--> Mais aussi : tous les cétacés sont cinéphiles, Je suis un cétacé, donc je suis cinéphile = la perfection formelle d’une démonstration ne suffit pas à garantir la vérité d'un raisonnement.
Il faut distinguer la vérité formelle de la démonstration (son respect des règles de la logique) de sa vérité matérielle.
De manière générale la vérité d’une démonstration dépend :
--> Du respect des règles formelles de la logique
--> De la vérité matérielle de ses points de départ : de ses prémisses (pour le raisonnement mathématiques) ou de ses principes (pour le raisonnement philosophique). Or ces points de départ ne peuvent pas être eux-mêmes démontrés : c'est le problème de la régression à l’infini.
Si on ne peut pas les démontrer comment va-t-on établir leur vérité ?
En mathématique la vérité absolue d’une démonstration quelconque supposerait l’existence d’un système de propositions vraies qui en constituerait le fondement. Un tel système possible ?
En philosophie la vérité de la démonstration suppose la vérité de ses principes. Comment s’en assure-t-on ? L’esprit peut-il saisir les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes ?
Limites de la démonstration
Une démonstration est un raisonnement qui a pour fonction de conduire l’esprit à une vérité certaine.
Donc :
--> C’est un produit de la raison pure.
--> C’est une démarche discursive, par opposition à une saisie intuitive ;
--> Elle doit produire une certitude.
Evoquer les limites de la démonstration revient donc à se demander:
--> Si la certitude démonstrative est absolue.
--> Si le vrai coïncide toujours avec le démontrable ou s'il existe des vérités intuitives.
--> Si la réalité est réductible à ce que la raison nous en apprend c'est-à-dire si le réel est rationnel.
Retour sur le cas des mathématique : B. Russell (1872-1970) : « Les mathématiques peuvent être définies comme une science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai.»
Pour développer la démonstration sur la valeur de la racine carrée de 2 on a admis une propriété sans la démontrer (le carré d’un nombre pair est toujours un nombre pair). Pour que notre démonstration soit complète il faudrait aussi démontrer cette proposition, ce qui supposerait là encore de s’appuyer sur des propositions qu’il faudrait démontrer. Donc pour qu’une démonstration mathématique quelconque soit entièrement certaine il faut donc qu’elle s’appuie sur un système de propositions entièrement démontrées (un corps de théorème) cad sur un système consistant et complet.
--> Un système est consistant s’il contient tous les moyens de sa cohérence.
--> Un système est complet s’il ne contient aucune proposition indécidable c'est-à-dire dont on ne pourrait démontrer si elles sont vraies ou fausses.
Or il a été démontré qu’un tel système est impossible.
ELEMENTS D'HISTOIRE DES MATHEMATIQUES
Euclide(-IV°/-III°), Les éléments : c'est un effort de présentation ordonnée et rigoureuse des mathématiques de son temps.
Les théorèmes (propositions démontrées) sont reliés à :
a) des définitions (point, ligne segment etc.),
b) des axiomes ou notions communes (propositions non démontrées mais tenues pour évidentes : le tout est plus grand que la partie),
c) des postulats ou demandes (des propositions intermédiaire qu’on demande d’admettre et grâce auxquels on parvient à démontrer une proposition : par un point extérieur à une droite dans un plan on peut mener une et une seule parallèle).
Exemple :
- Définitions : « un point est ce dont la partie est nulle » ; « une ligne est une longueur sans largeur. »
- Demandes ou postulats : « Conduire une droite d’un point quelconque à un point quelconque. » « Tous les angles droits sont égaux entre eux. » « Par un point extérieur à une droite on peut mener une parallèle et une seule à cette droite. »
- Axiomes ou notions communes : « les grandeurs égales à une même grandeur sont égales entre elles. » ; « le tout est plus grande que la partie. »
Mais la présentation euclidienne à deux insuffisances : son recours à l’intuition et existence des postulats. Les mathématiciens postérieurs à Euclode ont donc tenté d'achever le systèm. Mais les tentatives de démonstration du postulat des parallèles (5°postulat) a conduit les mathématiciens à découvrir qu’on pouvait développer des géométries parfaitement consistantes qui ignore ce postulat ou en introduise un autre : les géométries-non euclidiennes (Riemann, Lobatchevski).
Les tentatives d’axiomatisation ont mis en évidence les paradoxes logiques et ont conduit aux théorèmes de Gödel. Axiomatisation : ramener l’ensemble des mathématiques à un système de propositions premières.
--> Le paradoxe du Barbier : le barbier d’un village rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes. La réponse à la question : qui rase le barbier est indécidable.
--> Le paradoxe d’Epiménide : « Epiménide le Crétois dit que tous les crétois sont des menteurs. » Il est impossible d’attribuer une valeur de vérité quelconque à cette proposition.
--> Théorème d'incomplétude : Dans toute branche des mathématiques il existe une infinité de propositions vraies qu'il est impossible de prouver en utilisant la branche des mathématiques en question.
- Inconsistance : Dans toute branche des mathématiques il existe un énoncé exprimant la cohérence de la théorie qui ne peut pas être démontré dans la théorie elle-même.
Est-ce à dire que les mathématiques sont fausses ou inutiles ? Non. C’est même un résultat positif qui nous apprend quelque chose sur la nature des mathématiques : c'est une science purement formelle de nature hypothético-déductive, sans lien avec la nature, sauf à postuler métaphysiquement la rationalité du réel. Ainsi un raisonnement logique ou mathématique n’est pas vrai ou faux et il n’a pas à l’être : il est valide ou non-valide, cad formellement cohérent avec le système de propositions dont il est dérivé.
Le cas de la philosophie
On parlera de limites de la démonstration en philosophie si :
--> La connaissance de certains phénomènes ne dépend pas du raisonnement.
--> Si l’esprit est dans l’incapacité de raisonner à partir d’une représentation exacte de ses objets.
Exemple : l’argument ontologique et sa critique
Peut-on démontrer l’existence de Dieu ? En cas d’impossibilité, que faut-il en conclure au sujet du raisonnement démonstratif et de la raison ?
L'argument ontologique : On le doit à un théologien Anselme de Cantorbéry : Dieu est par définition un être parfait ; donc Dieu existe.
Kant (1724-1804) : il ne faut pas confondre possibilité et réalité. Lorsqu’un concept est sans contradiction, alors la chose est possible, cela ne prouve pas qu’elle est réelle. Il n’y a, conceptuellement parlant, aucune différence entre le concept de dix euros et un billet de dix euros ; mais ce n’est pas la même chose de l’avoir en tête et de l’avoir dans la poche. L’AO n’est donc pas valide.
Mais l’« athéisme de la raison théorique » est-il la preuve positive de l’inexistence de Dieu ?
Non,
--> Puisque la raison ne se prononce pas sur l'existence.
--> Puisqu’elle n’est pas la seule source de la vérité.
Blaise Pascal (1623-1662) : philosophe, physicien, mathématicien et croyant. Donc cas intéressant. Connu principalement par un ouvrage, Les Pensées : des notes pour une apologie de la religion chrétienne. Objectif : combattre l’athéisme des libres-penseurs (des matérialistes et des sceptiques). Convaincre et convertir son ami, Antoine De Gombauld, dit Le Chevalier de Méré.
Thèse de Pascal : La recherche rationnelle de la vérité ne peut pas surpasser la méthode démonstrative des mathématiques qui est une méthode imparfaite car elle ne peut pas remplir deux conditions :
--> La démonstration des premiers principes.
--> La définition exacte de tous les termes employés.
« Cette méthode <une parfaite méthode de démaontration> est absolument impossible : car les premiers termes qu'on voudrait définir en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. »
Leçon :
La raison a des limites, il y a une autre source des vérités connues ; donc le vrai et le démontrable ne coïncident pas. En outre les vérités démontrables supposent les vérités intuitives. « Le « Cœur », la connaissance intuitive, l’ "il y a" de la réalité : je suis, je ne rêve pas, il y a un monde : autant de vérités dont la démonstration :
--> est inutile;
--> est impossible;
--> mais plus qui sont plus certaines que toute vérité démontrée.
Ainsi avant toute démonstration, il faut une "monstration", une donation. Avant de pouvoir connaître un objet, il faut que cet objet soit (l'Être précède le Connaître, donc l'intuition et la perception la déduction et la réflexion).