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DISCUSSION DE LA CONCEPTION CARTESIENNE DU LANGAGE : LE LANGAGE EST-IL PROPRE A L’HOMME ? N’EST-IL QU’UN INSTRUMENT DE COMMUNICATION ?

EST-IL PROPRE A L’HOMME ?

 1. Position du problème : Le langage est la faculté d’employer des signes pour communiquer sa pensée à autrui. Dire qu'il est propre de l’homme signifie que l’espèce humaine est la seule à posséder cette faculté. C’est la position de Descartes (« le langage ne convient qu'à l'homme seul"); c’est la position d’Aristote (« Seul parmi les animaux l’homme possède le langage »). Toutefois on observe des comportements de communication chez toutes les espèces animales. Et certaines mettent en œuvre des moyens qui semblent de nature linguistique (les abeilles, les dauphins, certains primates). 

2. Un exemple de communication animale :  Karl von Frisch, zoologue suisse, a remarqué que les abeilles étaient capables de ses transmettre des informations sur les zones de butinage au moyen de signaux différenciés (les « danses ») qui communiquent une information complexe (localisation, distance par rapport à la ruche).

Il y a deux modalités :

La danse en rond, pour une ressource à proximité de la ruche (moins d'une cinquantaine à une centaine de mètres), où l'information principale est l'odeur de la fleur à exploiter que la danseuse porte sur son corps ;

La danse frétillante, plus complexe, qui indique la direction par rapport au soleil de la zone à explorer, par l'orientation de l'axe de la danse par rapport à la verticale ; la distance de la zone, par la vitesse du frétillement ; et la nature du butin, par l'odeur dont le corps de la danseuse est imprégnée.)

S’agit-il d’un langage ?

3. La solution (référence : comparaison de la communication chez l’homme et le singe Vervet, in Jacques Vauclair, L’intelligence de l’animal).

Pour le savoir il faut se demander s'il y existe dans le monde animal une faculté ayant les mêmes propriétés fonctionnelles et structurelles que le langage humain.

Fonctionnellement, le langage humain permet l’interlocution et la communication de contenus sémantiques de toute nature : des informations, des états d’âme, des œuvres littéraires, des théories philosophiques, scientifiques etc. Mais pour que ce que cela soit possible il faut que le moyen de la communication possède une certaine structure.

Or il y a entre entre les moyens linguistiques de la communication humaine et les modes de la communication animale des différences de structure qui déterminent des différences de fonctions : l'animal ne possède pas l’instrument des performances linguistiques et intellectuelle qui nous sont habituelles : discuter, dialoguer, réfléchir, discourir etc.

LES DIFFERENCES DE STRUCTURE

  • L’animal communique à l’aide d’un code de signaux, l’homme à l’aide d’un système de signes.
  • Les signaux sont reliés directement à l’objet désigné, chaque signal renvoyant à un objet unique (cris pour « Python, cri pour « Aigle », cri pour « Léopard »).
  • Ils ne peuvent pas se combiner entre eux pour former une signification nouvelle.
  • Les signes linguistiques associent directement un signifiant et un signifié et sont indirectement reliés à l’objet qu’ils désignent.
  • La signification d’un signe dépend donc de sa relation différentielle aux autres signes; du coup la perception présente de l'objet n'est pas nécessaire à la compréhension du signe. C'est ce qu'on nomme la double articulation, qui est la caractéristique du langage humain (Saussure : "Dans la langue il n'y a que des différences.").
  • Ils peuvent s’associer entre eux selon des règles précises de formation (les règles syntaxiques) ce qui permet de créer des significations nouvelles.

LES DIFFERENCES DE FONCTION

  • L’emploi des signaux limite strictement la communication à une fonction injonctive ou à une fonction pragmatique de transfert d’informations proches des stimulations biologiques (nourriture, danger, accouplement etc) : les animaux ne conversent pas et ne théorisent pas.
  • L’emploi des signes linguistiques est déjà un commencement d’abstraction. Les hommes peuvent parler des choses en leur absence. Leur communication est déclarative et abstraite : l'homme est un animal qui s’adresse en conscience à la conscience d’autrui et qui théorise.

 

Conclusion et remarque finale : Le langage est une faculté qui ne s’observe naturellement que chez l’espèce humaine ; en ce sens il est bien propre à l'homme. Néanmoins les animaux sont capables de reconnaître et d’utiliser des symboles voire d’apprendre les rudiments d’un langage. Si le langage est bien propre à l’homme, il ne signifie pas qu'il y a une rupture radicale entre humanité et animalité. Enfin s’il n’existe pas d’exemple de langage animal, des animaux se montrent néanmoins capable d’apprentissage partiel du langage : c'est le cas de Koko, une femelle gorille (voir Barbet Schroeder, Conversation avec Koko le Gorille), de Kanzi un chimpanzé et de bien d'autres etc. Et il existe au moins un cas connu à ce jour de communication quasi-langagière chez une espèce de singe, La Mone de Campbell étudié en Côte-d’Ivoire.

N’EST-IL QU’UN INSTRUMENT DE COMMUNICATION?

Cette question a deux interprétations possibles :

A/ La première concerne la question de la possibilité de la vérité.

  • Vérité et réalité : ce sont des termes que l’on confond presque toujours, mais à tort ! Soit le ciel au dessus de ma tête : le ciel est, il n’est pas vrai ou faux. En revanche si je dis « le ciel est dégagé » cela peut-être vrai ou faux, sincère ou mensonger (si je veux tromper quelqu’un). On dira donc : la réalité c’est ce qui est ; la vérité c’est la représentation exacte de ce qui est. Il n’y a donc de vérité ou d’erreur qu’a partir du moment où l’on se prononce au sujet de quelque chose.

 

  • Vérité et langage : c’est pourquoi l’analyse de la nature du langage pose le problème de l’existence de la vérité : la vérité ne peut exister qu’à partir de son expression langagière, ce qui n’est possible que dans une langue particulière : en français, en anglais, en japonais, en arabe etc.

Mais le langage permet-il d’exprimer la réalité telle qu’elle est ? Les mots peuvent-ils dire les choses telles qu’elles sont ou seulement les désigner par convention ?

B/ La seconde porte sur la fonction du langage : est-il correctement représenté lorsqu’on le conçoit comme l’instrument de la communication de la pensée ?

A/ Le langage peut-il dire les choses mêmes ? La critique nietzschéenne de l’idée de vérité

Un énoncé est vrai s’il dit ce qui est, s’il fait coïncider l’ordre du langage et l’ordre de la réalité. Mais cette coïncidence est-elle réalisable?

En apparence rien n’est plus simple : s’il y a dix personnes dans une salle et que l’une d’elle dit : « nous sommes dix dans cette salle » elle énonce bien ce qui est. Toutefois cette personne a-t-elle bien exprimé la situation telle qu’elle est ou bien a-t-elle seulement décrit la situation en respectant un code linguiste qui permet à chacun de se comprendre?

Prenons un autre exemple. « Il fait beau aujourd’hui, le ciel est bleu » : il se peut que cela corresponde effectivement à l’expérience si le soleil est haut dans un ciel sans vent ni nuage.  Mais même dans ce cas, il y a plusieurs problèmes :

a) L’expérience dont il est rendu comte n’est pas celle de la réalité, mais de l’expérience humaine de la réalité ;

b)  Les termes employés ne sont pas exacts ou adéquats : a) Ces termes sont métaphoriques (« faire beau », n’a, du point de vue des choses, aucun sens ; cela ne sera pas vrai pour la limace ou l’escargot ; bref c’est une expression anthropomorphique) ; b) ces termes sont approximatifs : il existe une diversité de bleu (magenta, turquoise, ciel, marine etc.), et même une infinité (toutes les découpes imaginables de la zone du spectre lumineux qui correspondent à la longueur d’onde du bleu). Dans tous les cas, « bleu » n’est pas une propriété objective du ciel, mais une représentation visuelle liée à la perception humaine. Et la forme humaine de la perception visuelle dépend de la structure de ses organes (œil, rétine, bâtonnets etc.) et de son cerveau qui met en forme les données sensorielles. Un chien ne perçoit pas « le beau ciel bleu » dont nous parlons.

On retrouve à travers ces remarques les arguments majeurs de la réfutation de l’idée de vérité par Nietzsche dans son œuvre Vérité et mensonge au sens extra-moral. Nietzsche soutient que :

a) La croyance dans l’existence d’une vérité est une illusion ayant sa source dans le langage.

b) La valorisation morale de la vérité, donc la condamnation du mensonge (le devoir de véracité) vient des nécessités de la vie sociales : des individus ne peuvent coexister et agir efficacement que s’ils s’obligent à respecter les même conventions langagières ; c’est alors qu’il devient criminel (en fait : nuisible à la société) de mentir ou de s’écarter des conventions linguistiques, de transgresser le code établi.

b) Aucun discours, aucune théorie, scientifique ou philosophique, ne sont exacts ou véridiques : a) car les mots ne correspondent pas aux choses ; b) car l’homme n’exprime pas l’expérience des choses elles-mêmes, mais l’expérience qu’il en a à travers le filtre de ses perceptions, c’est-à-dire de son corps. Parler c’est donc exprimer dans les formes d’une langue et d’une culture la manière dont les choses nous affectent. Il n’y a donc pas de vérité, il n’y a que des interprétations : la science elle-même est une interprétation puisqu’elle ne fait qu’exprimer la réalité dans un langage qui en permet la maîtrise technique (une loi scientifique n’est rien d’autre qu’une formule commode pour maîtriser des phénomènes sélectionnés : U = RxI : cela ne nous dit rien de l’essence du phénomène électrique, mais cela permet de construire efficacement des circuits électriques).

Il faut donc renoncer définitivement à l’idée d’une vérité absolue. Si on ne la trouve pas, c’est parce qu’elle n’existe pas !

B/ Le langage n’est-il que l’instrument de la communication de la pensée.

C’était la conception de Descartes : la faculté du langage est une fonction dérivée de la faculté de pensée : c’est parce qu’on pense qu’on est amené à communiquer linguistiquement : nous sommes des êtres parlants parce que nous sommes des êtres pensants.

 PRESUPPOSES DE CETTE CONCEPTION

1° : la pensée est indépendante du langage. Le sujet pensant est dans une relation directe à l’objet pensé, puis une fois qu’il a formé son idée il la communique éventuellement à autrui. Le langage est censé ne jouer aucun rôle dans l’élaboration de la pensée. Il a juste un rôle de communication de l’idée lorsqu’elle est formée clairement dans l’esprit. Exemple : Je réfléchis à l’amour : je me demande : Qu’est-ce que l’amour ? C’est un sentiment d’attachement exclusif et désintéressé à la personne d’un autre. Donc : je pense l’idée, ensuite je la traduis dans des mots pour la communiquer. C’est vrai qu’on a d’abord le sentiment que la pensée est bien indépendante du langage. On se dit que pour avoir quelque chose à dire il faut l’avoir préalablement pensé ; il y a aussi le fait de chercher ses mots : on cherche les mots les plus adéquats à l’idée qu’on souhaite exprimer

2° : le langage est comme un outil dont l’homme se sert : dans cette perspective le langage est une chose qu’on possède et dont on se sert, il fait partie de notre panoplie d’outils et non de notre être même. Le langage est conçu comme un moyen technique, au service de la communication des idées. Ce qui implique que c’est parce qu’on a quelque chose à dire qu’on parle.

Ces présupposés sont-ils corrects ? 

EXAMEN DU PREMIER PRESUPPOSE : Peut-on penser sans langage ?

Penser est pris ici au sens de réfléchir, de former un discours cohérent.

1. Nous pensons avec les mots.

Etude d’un cas : on s’intéresse à la manière dont les images se forment dans notre esprit = cette faculté qu’on appelle l’imagination. On va essayer de former une théorie de l’imagination.

Comme pour toute théorie, on va partir d’une observation

L’observation : Lorsqu’on regarde des nuages dans le ciel ou des tâches sur un mur, on voit se former des images. Ce qui est remarquable ici c’est qu’en même temps que l’image se forme dans son esprit, le nom de l’objet nous vient à l’esprit. Il n’y a pas d’abord l’image distincte, puis ensuite son nom, la perception claire de l’objet coïncide avec sa nomination : le langage est présent dès la perception des objets. Pour percevoir distinctement un objet et l’identifier, on a besoin d’en connaître le nom, ou du moins de le rattacher à un nom (une catégorie).

Maurice Merleau-Ponty : « La dénomination des objets ne vient pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même. Quand je fixe un objet dans la pénombre et que je dis : « C’est une brosse », il n’y a pas dans mon esprit un concept de la brosse, sous lequel je subsumerais l’objet et qui d’autre part se trouverait lié par une association fréquente avec le mot de « brosse », mais le mot porte le sens, et, en l’imposant à l’objet, j’ai conscience d’atteindre l’objet. Comme on l’a souvent dit, pour l’enfant, l’objet n’est connu que lorsqu’il est nommé, le nom est l’essence de l’objet et réside en lui au même titre que sa couleur et que sa forme. »

La théorisation : il y a deux types d’image dans l’esprit : les images qui sont comme le décalque des objets existant (une chaise) et les images qui ne renvoient pas à un objet existant, déjà perçu. Lorsqu’on parle de l’imagination comme faculté de former des images dans l’esprit il faut donc son peut distinguer deux formes d’imagination : l’imagination reproductrice et l’imagination créatrice. Il faut fixer cette distinction conceptuelle. La fixation de la distinction conceptuelle entre imagination reproductrice et créatrice exige l’emploi des mots ; de même la réflexion qui conduit à la penser s’appuie en permanence sur l’usage des mots : nous réfléchissons en employant des mots. Il n’y a pas de réflexion, de pensée discursive qui puisse se passer du langage, à la fois pour se développer et pour fixer ses concepts.

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale : « Psychologues et linguistes se sont toujours accordés pour dire que sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d’une façon claire et constante. Prise en elle-même la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité. Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue. 

La pensée doit donc recourir au langage pour se former et se formuler. Mais il faut aller plus loin : on ne parle pas et on ne pense pas dans le langage, mais dans une langue particulière, le français plutôt que l’anglais ou l’ourdou, qui a son lexique et sa logique. Cela n’influence-t-il pas la réflexion que nous menons dans une langue ?

 

2. Et nous pensons dans les mots

La langue : le produit social de la faculté du langage, le code obligé des locuteurs dans cette langue. En outre la langue est l’expression d’une culture, c’est-à-dire fondamentalement d’un type particulier de rapport au monde.

La culture : a) la possession de connaissances générales ; b) L’ordre de ce qui est autre que la nature ; c) Les mœurs, en tant qu’elles forment l’identité d’un peuple particulier. Dans ce dernier sens la culture est une manière de sentir et de voir, un type particulier de rapport au monde dont la langue est le produit (c’est ce qui explique l’attachement d'un peuple à sa langue : les catalans, les basques).

Soit les problèmes posés par la traduction (Cas extrême : la traduction de la poésie où le fond est porté par la forme)

a) Les langues n’ont pas le même lexique : il y a des expressions idiomatiques, des intraduisibles : Wistful anglais, gemütlich allemand, la saudade du portugais etc.

b) Les langues n’ont pas la même logique :

"Je traverse la rivière à la nage" / “I swim accros the river”: la langue française insiste sur le déplacement et sur son moyen. La langue anglaise insiste sur la motricité, l'aspect actif.

"Un jeune garçon brun" / “Brown-haired-young boy”: en français la chose (garçon) préexiste à ses attributs (jeune, brun). En anglais la chose est constituée par ses attributs.

 a) et b) = les peuples n’ont pas la même vision du monde (« weltanschauung » disent les allemands) :

Les français dans leur approche des problèmes politique, intellectuels etc, sont volontiers dogmatiques, rationalistes, universalistes ; ils ont un goût marqué de la théorie, un attachement fort pour l’abstraction des grands principes / Les anglo-saxons sont davantage pragmatiques, utilitaristes. Nos philosophes emblématiques respectifs seraient Descartes pour les français (un rationaliste),  John Locke ou David Hume pour les anglais (des empiristes).

On est donc en droit de supposer que lorsque nous réfléchissons, le sujet n’à pas une relation directe à l’objet, mais que la représentation passe par la médiation de la langue et de la culture. L’objet est donc conçu à partir d’une expérience implicite qui prédétermine le contenu de la réflexion : quand nous pensons l’amour nous présupposons un certain type de relation à l’objet qui est linguistiquement, culturellement et historiquement constituée.

Claude Lévi-Strauss : « Descartes croit passer directement de l'intériorité d'un homme à l'extériorité du monde, sans voir qu'entre ces deux extrêmes se placent des sociétés, des civilisations, c'est-à-dire des mondes d'hommes ». (in Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences humaines) 

André Martinet : « La notion d’une langue-répertoire se fonde sur l'idée simpliste que le monde tout entier s'ordonne, antérieurement à la vision qu'en ont les hommes, en catégories d'objets parfaitement distinctes, chacune recevant nécessairement une désignation dans chaque langue (...) <En fait> Chaque langue correspond à une organisation particulière des données de l'expérience. Apprendre une autre langue, ce n'est pas mettre de nouvelles étiquettes sur des objets connus, mais s'habituer à analyser autrement ce qui fait l'objet de communications linguistiques. »

Lévi-Strauss et Martinet sont deux représentants du courant structuralistes, influencés par la linguistique de Ferdinand de Saussure.

Le structuralisme : discipline qui a pour but de mettre en évidence les structures  qui gouverne la conduite du sujet. (Quand on parle une langue, on obéit à sa syntaxe sans même en avoir conscience. De même lorsqu’on étudie les structures de la parenté : le choix du conjoint dans les sociétés traditionnelles est vécu comme un acte ayant une motivation individuelle ou sociale particulière, mais il obéit en réalité à des schémas rigoureux, d’évitement de l’inceste et d’échange des femmes). Pour le structuraliste lorsqu’un sujet pense, il s’inscrit dans l’univers catégoriel et logique de sa langue maternelle, et celle-ci constitue une méditation à l’intérieur de laquelle seulement les objets sont pensables par la conscience du sujet.

On ne peut donc pas penser au-delà de ce qui est pensable dans une langue, ce qui signifie, si qu’il n’y a pas d’universalité du discours. On ne peut donc pas penser sans langage ; d’une part parce que nous avons besoin des mots pour développer et fixer  nos pensées ; d’autre part parce que le sujet pensant perçoit et conçoit les objets qu’il pense à travers la médiation d’une langue et d’une culture particulière.

EXAMEN DU SECOND PRESUPPOSE : Le langage est-il pour l’homme un outil?

C’est la vision la plus courante du langage, c’est celle de Descartes, mais elle est fausse. D’une part parce que le langage est inscrit en l’homme sur les plans psychique et organique (1 et 2). D’autre part parce que la transmission des idées n’est pas la fonction première du langage : la communication est intersubjective avant d’être intellectuelle (3).

1. Le langage est intégré à la subjectivité

Subjectivité : a) la manière personnelle de concevoir les choses (opposée à objectivité) ; b) l’être du sujet, cad la vie intérieure singulière de l’être conscient, le monde du moi.

Soit l'expérience de la parole (lorsqu'on se confie à quelqu'un, lorsque le discours est intime par exemple).

La parole : a) son engagement (donner sa parole); b) l’expression verbale de la pensée ; c) l’acte intersubjectif à travers lequel une conscience s’ouvre verbalement à une autre conscience.

Ce qui nous intéresse ici (c) : dire quelque chose à quelqu’un / entendre quelque chose de quelqu’un.

Si on nous adresse un compliment ou au contraire une injure : cela nous affecte, nous touche immédiatement : en témoigne la rougeur de l’émotion, fierté ou colère.

De même une confidence, une déclaration : dans ces situation le sujet est tout entier dans sa parole et dans la plus grande proximité avec autrui.

Bref, il n’y a pas moi et ma parole et autrui ou sa parole, il n’y a pas de distance entre ma subjectivité et ma parole et la subjectivité d’autrui. Parler, se confier c’est être tout entier dans sa parole ; notre parole est la forme de notre subjectivité face à la subjectivité d’autrui. Notre subjectivité se révèle tout entière dans sa parole, elle n’existe pas séparée d’elle (pas plus d’ailleurs du corps qui est notre : il n’y a pas moi et ma parole, ni moi et mon corps : c’est comme corps et parole que la conscience existe (ex-site : se manifeste, se révèle).

Ce lien entre parole et subjectivité est particulièrement mis en évidence par la psychanalyse :

Comme théorie : l’inconscient : une partie de l’activité de la pensée qui n’est pas perçue consciemment. Le lapsus, le déni, la résistance, la rationalisation : autant de phénomènes ou le clivage cs / ics du sujet se révèle.

Comme thérapeutique : la cure psychanalytique consiste à soigner le psychisme par la parole. Le patient se dévoile en parlant, le psychanalyste écoute ce que dit le patient et surtout ce qu’il tait. Cas de la résistance.

La résistance : attitude de déni à travers laquelle le sujet refuse de prendre conscience des raisons de sa pathologie : lorsqu’il parle de manière à ne pas nommer ce qui le gêne ou l’affecte : la parole du patient est à son insu structurée par son silence : sa parole porte en creux la figure de son moi.

2. Le langage est intégré à notre organisme (un peu de paléoanthropologie)

Il faut parler ici du processus d’hominisation.

Hominisation : processus évolutif qui conduit à l’homme tel que nous le connaissons. Dans ce processus la sélection naturelle a été complétée par des processus culturel : acquisition et développement d’une culture technique, acquisition conjointe du langage.

Leroi-Gourhan : « Station verticale, face courte, main libre pendant la locomotion et possession d’outils amovibles sont vraiment les critères fondamentaux d’humanité. Le développement cérébral est en quelque sorte un critère secondaire. (…) outil pour la main et langage pour le cerveau sont les deux pôles d’un même dispositif». Main, face, et cerveau co-évoluent. Les modifications morphologiques ont engendré des modifications comportementales et cognitives : la culture technique, dont le développement est concomitant avec le développement du langage. Le langage n’est donc pas une faculté qui est venu s’ajouter à un homme déjà constitué. Il fait partie du processus qui engendre l’être humain.

 3. La communication est intersubjective avant d’être intellectuelle.

Intersubjectivité : c’est le fait que la conscience individuelle existe d’abord en relation avec la conscience d’autrui avant d’exister isolément en elle-même. Ce qui signifie aussi que toute conscience est ouverte sur les autres consciences et sensibles à elles.

Pour le montrer : Pourquoi parlons-nous et de quoi ?

Le cas du bavardage. Les propos sans contenu (il fait beau. Comment va etc). Causer, cancaner, commérer, parler de la pluie et du beau temps. A l’inverse : douleur de la solitude : n’avoir personne à qui parler, à qui se confier etc.

La parole lie / fait lien et affecte avant d'informer ou d'instruire. La communication n’est pas d’abord au service des idées ! Le besoin de communiquer s'explique bien évidemment pour des raisons psychologiques liées au besoin qu'ont les sujets des autres sujets. Il faut renverser le schéma cartésien "Je pense donc je parle". Non ! Je parle, et ensuite je réfléchis ou je théorise. La communication des idées, la structuration de la réflexion, sont des fonctions dérivées de l’activité de la communication et non l’inverse.

L’intuition de Rousseau ! Dans son Essai sur l'origine des langues il avait déjà supposé que le langage était "né des passions", des émotions naissant de la relation à autrui, et non de la réflexion ou des besoins.

Conclusion : toute forme de conception instrumentale du langage doit donc être rejetée. Le langage est partie intégrante de l’humanité de l’homme. D’une part parce qu’il est incorporée en lui physiquement et psychiquement; d’autre part  parce que la communication langagière est relationnelle, intersubjective avant d’être intellectuelle.

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