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LA LIBERTE. NOTIONS, QUESTIONS ET COURS.

 

1. La notion

De façon générale c'est l'absence de toute forme de contrainte. Mais il ne faut pas confondre contrainte et obligation. Être contraint c'est être forcé à faire quelque chose. Tandis qu'on peut échapper à ses obligations ou les assumer librement.

Il ne faut pas non plus confondre la contrainte avec l'existence des règles ou des lois : si on veut avoir le plaisir de jouer au rugby, il faut en accepter les règles. Quant aux lois elles ne sont contraires à la liberté que si elles sont injustes ou imposées en dehors du consentement des sujets. 

 

Puisqu'il y a plusieurs formes de contraintes, il y a aussi plusieurs formes de la liberté.

 

La liberté morale c'est la liberté du sujet individuel, par différence avec le citoyen : le sujet en société. C'est le pouvoir de décider de soi ou de sa vie.

La liberté politique c'est l'absence de domination. A l'origine cela correspond au statut du citoyen par opposition à l'esclave. Un citoyen a des droits, est reconnu comme une personne. L'esclave n'a aucun droit, il a le statut d'une chose

 

2. Les questions

Nous avons deux types de problème, l'un portant sur la liberté morale, l'autre sur la liberté politique. D'où nos questions :

 

  • Sommes-nous libres ou déterminés? (réflexion sur la nature du pouvoir de décider de soi). 
  • Qu'est-ce donc que la démocratie? (réflexion sur les conditions de la réalisation de la liberté politique).
  •  

PREMIERE INTERROGATION : SOMMES-NOUS LIBRES OU DETERMINES?

 

PROLOGUE : Vous avez là une interrogation très classique, un peu abstraite, que je vais amener avec un exemple simple.

Un joueur de football, un défenseur par exemple, est très nerveux; il a déjà un carton jaune; l'arbitre siffle contre lui, à tort, une faute imaginaire. Il s'emporte, conteste, bien qu'il sache qu'il devrait tenir sa langue et suivre les conseils de modération de ses coéquipers; mais il continue, et bien entendu l'arbitre l'expulse. Ce joueur vient de pénaliser gravement son équipe; il va subir les reproches de son entraîneur et de ses coéquipiers. Il devra reconnaître ses torts, mais demandera de l'indulgence (la pression du jeu, l'injustice de l'arbitrage, les nerfs qui lachent etc) au nom des circonstances. Peut-être dira-t-il "ça a été plus fort que moi", "j'ai vu rouge, j'ai perdu mon sang froid" etc.
Voilà posé tout le problème du libre-arbitre, avec toutes ses implications : le joueur, dans le moment de l'incident de jeu, avait-il le choix de tenir sa langue ou de dire à l'arbitre ce qu'il pensait de lui? Si on le nie, alors personne n'est responsable de rien et on ne peut rien reprocher à personne. Si on l'admet, est-ce que je ne demande pas quelque chose, au fond, de surhumain à l'être humain : d'être en toutes circonstances maître de lui-même?

*

Le mot «déterminé » ne signifie pas ici décidé ou résolu ("je suis déterminé (décidé) à avoir mon bac"); il doit être compris en relation à la notion de déterminisme et en opposition à celle du libre-arbitre.

Le déterminisme est la doctrine suivant laquelle tout ce qui se produit dans la réalité résulte nécessairement d'une cause ou d'un ensemble de cause. Attention à ne pas confondre avec l'idée de destin, qui relève non du déterminisme mais du fatalisme.

Le fatalisme c'est la croyance dans l'existence du destin, c'est-à-dire dans la préordination implacable et inflexible des événéments. Une fable décrit très bien cela : A bagdad, un serviteur rencontre la mort, qui le regarde intensément, en faisant les courses au marché. Il retourne voir son maître et le supplie de lui donner un cheval pour s'enfuir à Ispahan.,où il pourra se cacher dès le soir. Demande accordée. A midi le maître croise la mort, et lui fait le reproche d'avoir effrayé son serviteur le matin. Et la mort lui répond : "mais je n'ai pas du tout voulu l'effrayer. Mon visage exprimait seulement l'étonnement de le voir ce matin à Bagdad alors que je lui ai donné rendez-vous ce soit à Ispahan." (voir aussi le roman de Diderot, Jacques le Fataliste, p.1 ou un exemple de tragédie grecque, Oedipe-Roi de Sophocle par exemple).

Différence entre déterminisme et fatalisme : ce sont deux doctrines totalement opposées! Exemple : il est nécessaire dans les conditions économiques et sociales actuelles qu'il y ait des travailleurs pauvres; mais cela n'est pas fatal : une modification des conditions économiques pourrait modifier ce phénomène. On voit donc que le déterminisme est inverse du fatalisme : le fatalisme c'est l'idée que l'homme est impuissant à modifier ce qui est; le déterminisme c'est au contraire l'idée que l'homme peut modifier un phénomène, à condition d'en modifier les causes.
Or si le déterminisme ne s'arrête pas au seuil de l'être humain, alors il est aussi opposé à la doctrine du libre-arbitre.

Le libre-arbitre c'est le pouvoir qu'aurait l'homme de décider d'une chose sans y être contraint par aucune cause extérieure. C'est au fond, tout simplement, la capacité à opérer des choix, lorsque ce terme est pris littéralement : choisir c'est opter pour une chose au détriment d'une autre, sans y être contraint par rien : par exemple, lorsque je suis face à deux portes, A et B, rien au monde ne semble poouvoir me forcer à choisir d'ouvrir l'une plutôt que l'autre. C'est cela le libre-arbitre, et cela paraît une évidence que nous le possédions.
 

C'est pourtant ce que nous mettons en question en nous demandant si les actes que nous réalisons intentionnellement ont leur origine dans le libre-arbitre ou bien s'ils résultent nécessairement de causes déterminantes agissant sur la volonté?

 

I/ Avons-nous une preuve de la réalité du libre-arbitre ?

Mais au fond, en avons-nous besoin? N'est-ce pas une évidence, ainsi que le pensait Descartes?

Descartes : "La liberté de la volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons".

Descartes dit que nous avons l'expérience du libre-arbitre, et qu'à ce titre point n'est besoin de preuve : en effet mon corps m'obéit, je résiste à mes passions (exemple : la colère, la jalousie, la faim), et j'ai l'intuition de l'indétermination de mes choix.

Si pour Descartes aucune preuve n'est nécessaire, si l'expérience suffit c'est parce que l'évidence du libre-arbitre est liée à notre conscience. Être conscient c'est en effet se savoir être, se savoir exister, et donc être face à la réalité qui nous entoure : j'ai le choix de faire ou non des études, j'ai le choix de pratiquer ou non un sport etc. On voit ainsi qu'être un être conscient c'est se sentir libre. La conscience nous donne l'intuition de notre existence, de notre présence au monde, elle nous donne du même coup l'intuition de notre liberté.

 

II/ La force des influences, le poids des situations ne sont-ils pas une objection contre le libre-arbitre?

On ne peut toutefois écarter deux objections :

La première, que nous ne sommes pas de purs esprits, que nous avons un corps avec ses désirs, ses « passions », ses goûts, ses tendances (les "inclinations"). Tout cela n’influencent-ils pas les choix que nous faisons au moment où nous les faisons?

La seconde, qu'il est impossible de faire abstraction de la situation dans laquelle s’effectue le choix, car ce serait concevoir abstraitement et non concrètement l’existence : exister c’est être dans le monde, dans un monde qu'on n'a pas choisi, dont les possibilités sont limitées et les contraintes ou l'influence bien réelles : nous n'échappons ni à l’époque, ni à la famille, ni au milieu, ni à la société. Pour ceux qui en doute, demandez-vous s'il est facile pour un jeune homme de banlieue de choisir comme sport le badmington ou comme activité la danse classique? Donc : ai-je vraiment le choix ? N’y a-t-il pas un déterminisme de la situation qui fait de la liberté de choix une illusion ?

 

- A la première objection Descartes répond par une analyse de l'acte de choisir qui montre que la volonté peut bien sûr être influencée, mais qu'elle ne peut pas être commandée par les inclinations, les passions ou tout autre influence :

a) Nous avons toujours de bonnes raisons (nos goûts et nos dégoûts par exemple) de faire une chose ou de ne pas la faire, mais ces raisons ne sont pas contraignantes : je peux détester le poisson, mais en manger quand même pour faire plaisir à mon hôte. C'est pourquoi Descartes dit : que « la volonté consiste en ce que nous pouvons faire une chose ou ne pas la faire (…) ou plutôt en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous contraigne»;

b) Enfin, nous éprouvons notre liberté, qui n'est rien d'autre que l'autonomie de l'esprit à l'égard de notre corps; l'essence de la conscience de soi (le soi, objet de cette prise de conscience) c'est l'esprit seul, sans référence au corps; lorsque je pense à moi, je n'inclus pas le corps; ainsi l'esprit et le corps sont-ils distincts, et dès lors le corps peut certes exercer son influence, son emprise sur l'esprit, mais pas jusqu'au point de le soumettre. D'où l'affirmation de Descartes : "La volonté est tellement libre de sa nature que rien ne peut absolument la contraindre."

 

- A la seconde, Sartre (XX° siècle) répond que si bien sûr on ne peut pas faire abstraction de la réalité, cette réalité dépend des attitudes que nous adoptons à son égard, et qu'ainsi il n'y a pas de déterminisme. Il résume cela dans une formule très simple : "Il n'y a de liberté qu'en situation, mais il n'y a de situation que par la liberté."

a) "Il n'y a de liberté qu'en situation" : tout acte, tout comportement est "situé", circonstancié : impossible de faire abstraction de l'époque, du milieu social, des habitudes, du corps qui est le mien etc. D'accord. Mais cette réalité n'existe pas objectivement sans moi, elle n'est pas comme les limites du bocal pour le poisson rouge, car :

b) "il n'y a de situation que par la liberté" cad que la réalité est ce qu'elle est par rapport à l'attitude que j'adopte à son égard. Sartre donne l'exemple d'un rocher. Est-ce qu'il est dans l'absolu, en lui-même, un obstacle? Non, il ne le devient que si je décide de le gravir. Et la difficulté qu'il m'oppose est elle-même relative aux choix que j'ai fait dans ma vie. Si j'ai décidé de faire de l'escalade très jeune, si je me veux très tenace ou si je me laisse décourager facilement etc. Ainsi, par exemple, on ne peut pas dire pour Sartre qu'un milieu social difficile condamne à rater ses études ou à la délinquance, si puissante que puisse être l'influence de l'environnement, puisque cette influence ne s'exerce, avec sa force variable, que corrélativement à l'attitude qu'on adopte vis-à-vis d'elle.

  On voit donc que la preuve de la liberté du sujet humain semble acquise. Sauf à considérer que la conscience que nous avons de nous même ne nous renseigne pas exactement sur l'existence ou sur le processus de la décision. En effet toute notre analyse s’est fondée sur la description des choses telles que nous en avons conscience. Mais la conscience est-elle fiable? Est-ce le moyen d'une connaissance ou la source d'une illusion?

SUR SARTRE ET LA LIBERTE : http://laphiloduclos.over-blog.com/article-25510920.html

III/ La conscience : moyen d’une connaissance ou source d’une illusion ?

Notre certitude au sujet du libre-arbitre a pour source les données de la conscience : le libre-arbitre est une donnée immédiate de la conscience; nous nous sentons libres parce que comme le souligne Descartes, lorsque nous optons pour une chose, "nous ne sentons point qu'aucune force nous y contraigne. Mais sommes-nous sûrs qu'une telle force contraingante n'existe pas?

 

Deux penseurs le contestent, pour des raisons différentes : Spinoza d'une part, Freud d'autre part.

1/ Spinoza : "Les hommes se croient libres parce qu'ils sont conscients de leurs désirs mais ignorants des causes qui les déterminent à désirer."

Spinoza nie que nous ayons un libre-arbitre suivant deux groupes d’arguments :

a) le déterminisme universel qui veut que chaque phénomène –quelle qu’en soit la nature (l’évolution des espèce comme l’invention du rock'n roll) résulte nécessairement d’un ensemble de causes qui le font être et être ce qu’il est (bref : le réel ne sort pas de rien; il y a toujours quelque chose qui explique ce qui arrive).

b) une conception de l'homme dans laquelle l'esprit n'est pas séparable du corps et de ce qui l'affecte, dans laquelle l'esprit et le corps évoluent en parallèle, ce qui fait que la conscience est toujours l’expression de ce qu’est ressenti par le corps. Ainsi lorsqu’une émotion ou un désir atteignent une certaine intensité, ils s’imposent à notre conscience sous la forme d’un acte de volonté.

Exemple : si j'ai un désir très faible pour une personne, je ne la remarque même pas; si ce désir est plus intense, je commence à m'y intéresser, mais peut-être ma timidité me retient-elle de lui parler; si ce désir est violent, alors je franchis le pas, j'essaie de séduire cette personne etc. A chaque moment j'ai le sentiment de faire librement ce que je fais, mais en réalité c'est l'intensité de mon désir qui me détermine à faire ce que je fais. Est-ce qu'on ne comprend pas mieux l'attitude de notre footballeur? Est-ce qu'on ne se montre pas plus juste avec lui en raisonnant ainsi?

 

2/ Freud : l'existence de l'inconscient montre que le "moi n'est pas maître dans sa propre maison."

Freud est le théoricien de l'inconscient. Il soutient que nous n'avons conscience que d'une partie de notre pensée, que seule la partie terminale de la pensée accède à la conscience, de la même façon que seule une partie d'un iceberg est visible. L'inconscient est donc une activité de pensée qui n'est pas consciemment perçue, mais qui explique la pensée consciente. Freud pense trouver la preuve de l'inconscient par exemple dans le rêve. Le fait que les rêves soient porteurs de sens prouve selon lui que même lorsque nous dormons nous pensons : le rêve est l'expression figurée (un peu comme un rébus) de pensées : lorsque je rêve, je pense.

C'est pourquoi Freud refuse l'idée de libre-arbitre, qui suppose une autonomie de la conscience. Il pense que le fonctionnement de notre activité mentale relève du déterminisme, cad que ce n'est jamais sans raison ou au hasard (arbitrairement) que nous faisons ou pensons quelque chose.

 

IV/ Mais nier le libre-arbitre, n'est-ce pas prendre le risque de détruire la morale?

Non, car il faut éviter deux erreurs : nos auteurs nient le libre-arbitre, pas la liberté. La liberté existe, mais il faut la concevoir autrement et exiger autre chose des êtres humains. Prenons le cas de Spinoza.

1/ La liberté pour lui, c'est quelque chose de très concret, et dont nous avons l'expérience : c’est la puissance d’agir. Cette puissance est d’autant plus forte que nous comprenons mieux la réalité (parce qu'alors nous la subissons moins, parce que nous nous épanouissons davantage avec cette compréhension).

2/ Il fait la différence entre un bien (ex. la bonté) et un mal (ex. un crime ou l'insulte) mais il propose d’autres moyens, plus efficaces, de les réaliser ou de les éviter : idéalement, il vaut mieux éduquer les hommes que les punir, leur montrer le bien plutôt que les critiquer.

Par exemple, lorsqu’on répond à l’injure par la violence, lorsque qu’un adulte conscient s’emporte contre un enfant impatient, lorsqu'on gronde un chien etc on témoigne de son incompréhension et de son impuissance. C'est l'émotion qui nous fait ré-agir à la situation, là où la raison (faculté de compréhension du réel) nous ferait agir.

Donc plus nous sommes en situation de comprendre, moins nous subissons la réalité / plus nous augmentons notre puissance d'agir. Dans son concept exact la liberté n’est donc pas une faculté mais un certain degré de puissance, une certaine actualisation de nos capacités. C’est ce que chacun sait intuitivement par l'expérience de la joie (sentiment de la croissance de sa puissance) qui accompagne les activités épanouissantes. A l'inverse, lorsque nous sommes empêchés, lorsque nous subissons la puissance des causes extérieures nous éprouvons de la tristesse (sentiment de la diminution de notre puissance).

*

Ainsi l'homme ne possède pas de libre-arbitre, qui est une invention liée historiquement à la religion, mais il possède une capacité à construire sa liberté, cad à créer les conditions personnelles et sociales, éthiques et politiques, de son émancipation, de l'affirmation de ses capacités.

 

SECONDE INTERROGATION : QU'EST-CE DONC QUE LA DEMOCRATIE?

 

Poser cette question c'est laisser entendre que la compréhension correcte de la démocratie pose un ensemble de problèmes. Quels sont-ils?

On définit la démocratie comme le régime politique dans lequel le peuple est souverain. La démocratie est alors la réalisation juridique (par une constitution et par des lois) des valeurs de la liberté et de l'égalité.

Toutefois si un ennemi de la démocratie parvenait au pouvoir à l'issue d'un vote régulier, serait-on encore en démocratie? Si dit oui, il semble qu'on abandonne ce qui donne sens à la démocratie, les valeurs de l'égalité et de la liberté, avec toutes leurs conséquences. Si on dit non, on laisse entendre qu'on a le droit de désobéir à un pouvoir élu démocratiquement. Mais alors on n'est plus en démocratie, puisque le peuple n'est plus souverain.

D'autre part, si la définition de la démocratie implique qu'il n'y a pas de liberté sans égalité, elle ne dit pas si il s'agit d'égalité juridique ou d'égalité sociale.

Si il s'agit seulement d'égalité juridique, la démocratie accepte des inégalités dans lesquelles elle risque de se perdre. S'il s'agit d'égalité sociale, certains pensent qu'elle prend le risque de la tyrannie.

D'où nos questions (I) Le principe de la souveraineté populaire suffit-il pour définir la démocratie? (II) Peut-il exister un droit à la révolte, qui serait nécessaire aux sociétés démocratiques? (III) Comment la démocratie doit-elle concevoir et articuler la liberté et l'égalité si elle veut être l'incarnation de ces deux principes?

 

I/ Vivre en démocratie est-ce seulement vivre comme le peuple le veut ?

 

Benjamin Constant, La liberté des Modernes et des Anciens :

 "Demandez-vous d’abord ce que de nos jours un Anglais, un Français, un habitant des Etats-unis de l’Amérique, entendent par le mot de liberté?

C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l’exercer; de disposer de sa propriété, d’en abuser même; d’aller, de venir, sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est pour chacun le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours et ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. Comparons maintenant cette liberté à celle des anciens.

Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre; mais, en même temps que c’était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient, comme compatible avec cette liberté collective, l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. Vous ne trouverez chez eux presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumises à une surveillance sévère. Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion."

 

COMMENTAIRE : Constant compare la liberté des modernes et la liberté des anciens, cad la conception antique et la conception moderne de la démocratie.

Dans l'antiquité la collectivité prime sur l'individu. Un homme ne fait pas de différence entre sa vie sociale et sa vie privée; il n'a aucune liberté individuelle, aucune indépendance à l'égard de la société; sa liberté se confond avec la participation à la vie politique de la Cité.

A l'inverse l'homme moderne se vit avant tout comme un individu cad un être singulier, différend des autres et irréductible à la totalité sociale. Moins la société et le pouvoir politique gouvernent sa vie et plus l'homme moderne se sent libre.

C'est pourquoi Constant définit la liberté des modernes en énonçant les principaux droits politiques qui caractérisent la démocratie en tant qu'Etat de droit.

 

Un droit est de façon générale une garantie juridique. On doit distinguer les droits politiques et les droits sociaux.

Un droit politique est la reconnaissance juridique, exprimé par la loi, d’une liberté de l’individu (le droit d’opinion).

Un droit social est la reconnaissance juridique (par la loi) d’une obligation de la société envers l’individu (le droit à l’éducation, le droit à la santé par exemple).

L’ensemble des droits tels qu’ils sont définis dans les lois se nomme le droit positif. L’existence des droits positifs implique l’existence d’un Etat.

L’Etat est l’institution qui exerce l’autorité politique sur un territoire donné. Le rôle de l’Etat est de veiller au respect des lois (rôle de la police), de donner « force de loi à la loi », bref de maintenir un certain ordre dans la société et de la société (cet ordre est-il toujours juste... ?)

L’Etat de droit : l'autorité du pouvoir politique est limité par la constitution et les lois. L'Etat n'a pas compétence sur tout.

 

Chacun des droits énoncé par B. Constant décrit une liberté fondamentale de l'individu que l'Etat et la société sont dans l'obligation de garantir ou de respecter. De ce fait l'individu peut, en théorie, mener sa vie à sa guise dans la seule limite du respect d’un même droit pour les autres (Kant : « Le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté des uns de s’accorder à la liberté des autres. »).

  Dès lors si l'Etat de droit est la condition de la liberté, on ne doit pas définir la démocratie uniquement par la souveraineté du peuple:  la volonté populaire pourrait vouloir tout diriger, tout régenter et  même vouloir des choses en contradiction avec l'idéal démocratique. Dans ce cas elle deviendrait tyrannique. Il faut à la démocratie une certaine organisation juridique du pouvoir politique qui garantissent les droits fondamentaux des individus, en particulier un maximum de liberté (d’indépendance) et le mettre à l'abri de l'arbitraire et des abus possible du pouvoir politique.

Nous savons donc maintenant que si un individu était élu démocratiquement et prétendait s'appuyer sur la volonté du peuple pour régenter la vie des individus dans tous ses aspects, on ne serait plus en démocratie. Est-ce à dire que l'idée de démocratie implique le droit se révolter?

 

II/ Être un bon citoyen : est-ce obéir aux lois ou bien savoir s'y opposer?

Partons du cas de la désobéissance civique.

 

1. C'est une attitude de résistance ou de révolte qui, au nom de l'esprit civique, de la responsabilité du citoyen, conduit à transgresser volontairement la loi. Cela peut-être au nom des principes fondamentaux de la démocratie (la liberté, l'égalité, la justice) ou pour des raisons morales, des raisons de conscience. L'objection de conscience est une forme de désobéissance civile.

 

2. Problèmes posés par la désobéissance civile : Les lois ou les ordres du pouvoir politique n’ont de réalité que si les citoyens ont obligation de leur obéir. Dès lors peut-on admettre que des citoyens s’autorisent à désobéir aux lois quelle que soit la nobelsse de leurs motifs? D’un autre côté, est-il du devoir du citoyen de se rendre complice d'une loi injuste ou d'un ordre immoral?

 

3. Quelles raisons avons-nous de penser qu’il peut être justes de désobéir aux lois ?

Antigone et Eichmann. Antigone : héroïne d'une pièce de Sophocle. Eichmann : un haut fonctionnaire de la solution finale.

 

Antigone : elle s'oppose à un commandement du Roi Créon. Créon représente l’éthique de la responsabilité, il a la charge de l’Etat : pour lui il faut que soit punie de façon exemplaire la rébellion contre le pouvoir. A l’inverse, Antigone représente l'éthique de la conviction, dans laquelle le devoir moral prime sur tout autre considération ; c’est pourquoi Antigone oppose à Créon qu’il existe des lois non écrites plus fondamentales que les lois écrites ou les ordres du pouvoir.

 

Eichmann est un haut fonctionnaire de la solution finale ; celui qui faisait en sorte que « les trains arrivent à l’heure » (sous-entendu : dans les camps d’extermination). Il s’est défendu à son procès en disant qu’obéir est un devoir et que nous avons le devoir d’obéir aux commandements du pouvoir, que cela doit passer avant les conséquences morales ou les protestations de notre conscience. L’attitude d’obéissance aveugle d’Eichmann est directement responsable de la mort de centaines de milliers de déportés.

 

On voit donc que la désobéissance civile peut s'autoriser des arguments suivants :

 

  • Le droit ne se confond pas avec la justice. Il y a ce qui est légal, conforme à la loi et ce qui est légitime, conforme au sens de ce qui est juste.

  • Les lois sont quelques fois injustes, de même que l'ordre social dont elles sont l'expression.

  • La morale est au-dessus du droit, et de l'ordre politique en général : les lois ne doivent pas être sacralisées, car elles ne sont que les moyens de la réalisation des idéaux et des valeurs morales. Dès que les lois trahissent ces idéaux ou ces valeur, il est légitime voire obligatoire de s’y opposer.

 

Problème : l’attitude d’Antigone et la condamnation d’Eichmann se fondent sur l’idée que le seul droit véritable est celui qui se fonde sur la justice. Mais de quelle justice parle-t-on ? A-t-on le droit d’invoquer son sentiment personnel du juste (le droit subjectif) pour justifier son opposition à la loi ? Ou bien existe-t-il une justice universelle sur laquelle on pourrait fonder la contestation du droit existant ?

 

4. Quel peut-être être le fondement du droit ?

a/ Est-ce l’équité ?

La justice consiste à traiter tout le monde de la même façon : c'est l'égalité. Mais précisément, pour que chacun puisse obtenir ce qui doit lui revenir, il faut éviter de donner indistinctement la même chose à tous. Ainsi donc l'égalité à deux formes : elle peut être stricte ou proportionnelle. Par exemple il est juste de faire payer des impôts à proportion du revenu plutôt que de manière uniforme. Cette dernière forme de l'égalité c'est l'équité. Être équitable, c'est être juste mais en tenant compte des différences qu'il peut y avoir entre les individus ou les situations.

N'est-ce pas là le fondement du droit? N'est-ce pas ce qui justifie la désobéissance civile en nous recommandant quelquefois de nous éloigner de la lettre stricte de la loi? Le bon juge par exemple c'est celui qui adapte son application de la loi au cas particulier qu'il juge. C'est celui qui fait preuve de jurisprudence. Oui, mais dans ce cas la subjectivité du juge entre en compte. On pourrait se plaindre de l'injustice d'un jugement qui ne traite pas tous le monde selon la loi stricte, le suspecter de partialité. C'est pourquoi Kant tourne en dérision la jurisprudence, expression de l'esprit d'équité, en parlant "d'une divinité muette qui ne peut être entendue devant aucun tribunal." Il est louable d'être équitable, mais cela ne peut pas être le fondement objectif du droit et de la loi.

 

b/ Est-ce la coutume? La conception de Pascal.

Pascal affirme qu’il n’existe pas de justice en soi, rien qui puisse être universellement reconnu comme juste par l'ensemble des hommes. Chacun peut en effet constater que les lois varient selon les lieux et les époques, de même que le sens de ce qui est juste ou injuste. Ainsi le droit n'est pas rationnel, la justice n’en est pas le fondement. C'est pourquoi Pascal pense qu'il est finalement plus raisonnable de s'en remettre à la coutume : la coutume a fait ses preuves, elle a été adopté par un peuple, et cela suffit. Bref, choisir le premier fils de la reine, ce n'est pas pire que le suffrage universel si cela préserve de la guerre civile. Puisqu'on ne peut pas faire que le juste soit fort, autant faire que le fort soit juste. Ainsi suivant la pensée de Pascal on ne peut pas s'autoriser de la référence à la justice universelle pour désobéir aux lois.

 

Mais que faire alors lorsque l’obéissance à la loi est contraire à la conscience? L’inexistence d’une justice universelle condamne-t-elle la désobéissance civile?

 

d) La solution : La discussion et l’action démocratiques.

Certes il n’existe pas d’essence de la de justice. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de frontière entre le juste et l’injuste. Simplement cette frontière prend un contenu particulier suivant l’histoire : les hommes définissent le juste et l’injuste à travers leurs revendications et leur luttes et en fonction de certaines valeurs variables qui s’affirment au cours de l’histoire.

Dès lors la solution à notre problème s'impose : Les valeurs de la démocratie sont la liberté, l’égalité et la justice. Ce sont des idéaux auxquels ils faut toujours donner un contenu historique particulier, ce qui est le rôle de l’action politique en démocratie.

Dès lors la désobéissance civile est une forme d’action politique légitime dans la mesure où elle ne recherche pas l’abolition de la loi ou de l’autorité politique mais qu'elle participe à la formation de la loi. Il faut l’inclure, lorsqu’elle est non-violente, comme une forme légitime de l’action politique.

Nous savons maintenant ce que c'est que d'être un bon citoyen : le bon citoyen n’est pas celui qui obéit aveuglement à la loi mou qui s'en remet au formalisme démocratique du vote, mais celui qui garde une distance critique vis-à-vis de la loi et qui sait donc qu'il faut parfois s’y opposer.

 

III/ Peut-on concilier la liberté et égalité?

A/ Position du problème : Pour définir la liberté Constant à énuméré un ensemble de droits politiques fondamentaux ("c'est pour chacun le droit de..." ). L'ensemble de ces droits dessine une certaine conception de la relation entre l'Etat et la société, l'Etat et l'individu. En effet ces droits ont pour but de garantir l'indépendance la plus large possible de l'individu à l'intérieur de la société et surtout de garantir l'individu contre les abus du pouvoir. Il s'agit là de la conception libérale de la liberté politique : la liberté se définit par l'indépendance de l'individu; la garantie de cette indépendance c'est l'Etat de droit qui doit s'efforcer de garantir l'égalité en droit et en dignité des citoyens.

Mais on peut remarquer l'absence de toute référence à des droits sociaux, des droits à : Constant ne dit jamais que la liberté c'est pour chacun le droit à... par exemple la santé, l'éducation, le travail etc. Cela signifie que pour Constant et plus largement pour la tradition libérale la garantie de droits sociaux n'est pas constitutive de la liberté de l'homme : La liberté c'est seulement l'égalité en droit des individus, la différence des conditions sociales s'expliquant par le mérite respectif des uns et des autres : l'Etat définit le cadre de la compétition des individus à l'intérieur de la société. Dans cette compétition, il y a des gagnants et des perdants, ce qu'ils sont censés devoir à leurs talents et à leurs efforts. Ainsi dans la conception libérale il est juste qu'il y ait des inégalités lorsque ces inégalités sont justifiées par le mérite de l'individu; c'est l'égalité stricte qui serait injuste puisqu'elle reviendrait à donner la même chose à tous sans tenir compte de leur mérite.

On peut alors voir apparaître un double problème :

a) un citoyen peut-il être libre si sa pauvreté ou son indigence l'empêche d'exercer ses droits politiques?
b) chacun peut constater que les inégalités sociales entraînent toujours des inégalités politiques dans la société réelle, donc des relations de domination.

Dès lors on doit se demander si il peut y avoir de liberté sans égalité réelle, c'est-à-dire sans égalité des conditions sociales? Toutefois, l'histoire a montré que chaque fois qu'une société a cherché à réaliser la liberté dans l'égalité, elle a détruit la liberté. Néanmoins on ne peut pas dissocier la liberté et l'égalité. Dès lors peut-on concilier la liberté et l'égalité? Et si aucune synthèse de ces deux principes n'est possible, à quel principe devenons-nous accorder la priorité et sous quelles conditions?

 

B/ L'égalité se réalise-t-elle dans l'identité des libertés? La critique marxiste des droits de l'Homme

Pour le libéralisme (Constant) l’égalité est réalisée par l’identité de la liberté donnée aux individus. Celle-ci est censée être garantie par l'identité des droits, cad par l’égalité en droit. Or une telle conception non seulement produit mais aussi légitime les inégalités sociales. Or l’existence des inégalités reste injustifiable même sous conditions d’égalité des chances. Car les inégalités produisent des rapports de domination politique. Les rapports de domination sont du rapport de maître à esclave, ce qui suppose de traiter une partie de l’humanité comme une sous-humanité. C'est dans ce contexte qu'on doit inscrire la critique que Marx développe de la conception libérale, dont l'essence culmine dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen.

Pour Marx l’indépendance de l'individu à l'intérieur de la société n’est pas la vraie liberté. Dès lors les droits de l’homme ne sont pas les vrais droits humains, les droits auxquels les hommes auraient droits si on prenait en compte leurs véritables besoins, leur véritable humanité. Les droits de l'Homme expriment une conception critiquable de l’homme et de la société. Car la déclaration universalise les droits de l’individu dans une société où règne les inégalités, ce que Marx nomme la société bourgeoise. Cette déclaration est pour lui la garantie juridique et la légitimation idéologique d’un ordre social et politique injuste.

Mais qu’est-ce qui donne le droit à Marx à dire que la conception libérale de la liberté n’est la vraie liberté et que les droits de l’homme tels qu’ils existent ne sont pas les vrais droits humains ?

Le matérialisme historique : C'est la philosophie de Marx. On peut la résumer dans cette déclaration célèbre : “Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais au la vie qui détermine la conscience.”

« La conscience » : la pensée, ce qui est à l’origine des idées, des conception, des représentations humaines : représentation de lui-même, de ce qui est bien ou mal, de la société etc. « La vie » : elle doit être conçue ici comme une réalité très concrète, commandée à la base par la nécessité biologique de se maintenir en vie. C’est alors l’ensemble des activités que les hommes mettent en œuvre pour satisfaire leurs besoins et réaliser leurs désirs. Au centre de la vie des hommes il y a donc la réalité sociale du travail (et l’état d’avancement de leur technique cad de maîtrise des conditions naturelles), l’activité de transformation du donné naturel à travers laquelle l’homme produit ses moyens d’existence. « C’est la vie qui détermine la conscience » : ce que les hommes pensent (d’eux-mêmes, de la société, du bien, du mal, leur conceptions juridiques, leur religion et même leurs formes d’art) prend son origine dans les conditions concrètes de leur existence.

D'où par exemple ce que Marx dit de la conception libérale, qui insiste sur l'individualisme : « L’individualisme est l’idéologie spontanée de la bourgeoisie » : l’homme est forcément conduit à agir et à penser d’une manière individualiste dans les conditions sociales de sa vie dans un système libéral et capitaliste.

Quels seraient les vrais droits humains pour Marx?

Mauvaise question pour un marxiste : car là où il y a droit au sens juridique du terme il y a Etat, loi, donc limitation et rapports de domination (la société communiste implique une abolition de l’Etat; Marx, sur ce point est en accord avec l’anarchisme). Dès lors pour Marx l’homme a droit à la liberté réelle c'est-à-dire à la possession des moyens de sa vie et de son épanouissement. Il pense que c'est dans une société communiste cad dans le cadre d'une société ayant aboli les classes sociales et fondée sur la coopération entre les individus qu'on peut aboutir à cela.

 

Ce n’est donc pas par nature mais au sein d'une structure sociale historiquement constituée que l'homme conçoit et réalise sa liberté. Est-il cependant possible de réaliser une société de la liberté et de l'égalité?

 

C/ La liberté trouve-t-elle sa réalisation dans l’identité des conditions sociales ? Le problème de la conciliation communiste. Le fait totalitaire

 

Pour le communisme la liberté se réalise à travers l’identité des conditions sociales; ou du moins à travers l'abolition des relations d'exploitation économiques. Mais tous les régimes communistes ont donné lieu à des formes tyranniques de gouvernement voire à des formes totalitaires.

Le totalitarisme : régime politique dans lequel l’autorité politique s’exerce sans limite sur tous les aspect de la vie sociale : l’économie, les relations sociales, l’art, la culture etc. En ce sens, pour le totalitarisme, "tout, littéralement, est politique" cad relève de l’autorité collective et non de l’appréciation individuelle. D'où : Un parti unique, une idéologie officielle, le monopole des pouvoirs de coercition et d’information, la mainmise sur les activités économiques, la politisation de toutes les fautes individuelle qui induit un climat de terreur idéologique et policière. La question est alors : le totalitarisme est-il une perversion du projet communiste ou bien est-il inscrit dans la logique même du projet de réaliser la liberté dans l’égalité?

Origines théorique et pratique du totalitarisme.

Le projet communiste c'est une société sans classe. Mais comment y parvenir? Le moyen c'est le pouvoir d’Etat ou le pouvoir des masses. Or l'unification de la société est un processus qui conduit à l’absorption de l’individu dans la masse, ce qui implique que la liberté se confond avec la puissance collective de la masse, ce qui implique l’extension de l’emprise de l’Etat sur la société. Ainsi l’instauration d’une société sans classe implique des décisions pratiques qui conduisent

a) à une croissance illimitée du pouvoir de l’autorité collective;
b) à la disparition de toute sphère autonomie de la décision individuelle, à la négation de l’individu et de toute société civile indépendante des organes de direction de la société.

En outre, sur le plan théorique il y a une tension irréductible entre liberté et égalité: la volonté d’égalité suppose la subordination de l’individu à la collectivité, la liberté la possibilité d’une indépendance au moins relative de l’individu à l’égard de la collectivité: la liberté est tendanciellement transgressive, l’égalité tendanciellement normative. Elles sont impossibles à synthétiser.

Résultat : Nous savons dorénavant qu’aucune synthèse de la liberté et de l’égalité n’est envisageable pour des êtres qui se vivent et se pensent comme des personnes singulières, des consciences individuelles irréductibles à la totalité sociale. Mais aussi que l’inégalité demeure en droit et moralement inacceptable, tout en apparaissant contradictoirement comme une des conditions de la liberté. Dès lors si nous ne pouvons ni confondre ni abandonner ces deux principes, il nous faut chercher à les articuler. De quelle façon? En donnant la priorité à quel principe?

 

D/ La solution de John Rawls

Le problème que pose Rawls: comment faut-il concevoir une forme d'organisation sociale qui réalise les valeurs de la liberté et de l'égalité, tout en étant socialement juste et économiquement efficace?

Sa démarche : Rawls imagine la situation suivante : soit deux individus rationnels n'ayant aucune connaissance de leur situation ni aucune définition a priori de ce qui est bien et juste. Sur quels principes de justice s'accorderaient-ils?

Selon Rawls ils en viendraient nécessairement à énoncer les deux principes suivants qui sont les principes d'une conciliation entre liberté et égalité

Le premier a priorité sur le second. Il énonce le principe de l'égalité politique : l'égalité stricte des droits politiques des individus, avant toute référence à leur condition sociale. L'égalité absolue ne s'exerce qu'au niveau des droits politiques. La liberté doit donc avoir priorité sur l'égalité sociale.

Le second est un principe d'équité. Un tel principe admet donc l'existence des inégalités sociales, mais sous conditions; il limite donc leur légitimité selon le principe utilitariste de la maximisation du bien-être possible : les inégalités ne peuvent exister que dans une société qui s'attache à garantir l'égalité des chances (rôle de l'école et des services publiques). Et seulement dans la mesure et de sorte qu'elles procurent un avantage aux membres les moins favorisés de la société.

Rawls renonce donc à l'idéal de l'égalité absolue défendue par la perspective révolutionnaire au nom de la liberté, de la justice et de l'efficacité économique. Mais non à l'idéal d'une justice sociale au regard de laquelle les inégalités économiques n'ont aucune légitimité en soi. Les inégalités ne sont que tolérées dans l'optique du calcul utilitariste de la maximisation du bien être social.

 

Conclusion : nous savons maintenant que la volonté de réaliser l'égalité réelle par des moyens politiques conduit à la mise péril de la liberté, que les droits politiques ne trouvent pas leur dépassement dans les droits sociaux ni la liberté dans l'égalité, ce qui doit nous rendre tout à fait prudent quant à la volonté d'un transformation radicale de la société en ce sens. Néanmoins l'exigence d'une égalité réelle subsiste à titre d'idéal régulateur comme une obligation inconditionnelle sur les plans politique et moral. La démocratie est donc le régime politique qui se propose comme tâche politique de rechercher en permanence, par des décisions pratiques, la conciliation de la liberté et de l'égalité en donnant priorité à la liberté. C'est alors le régime politique qui sait qu'aucun régime politique ne peut prétendre incarner parfaitement les aspirations des individus.

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