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L'EXPLICATION DE TEXTE EN PHILOSOPHIE

 

1. C’est une explication, pas un commentaire.

 

Commenter c’est discuter un texte. Expliquer c’est rendre compte de son sens.

 

Dans le premier cas on porte un regard critique sur le propos de l’auteur.  Dans le second on est au service de l’expression la plus étendue possible de la pensée de l’auteur. Expliquer c’est donc, littéralement et étymologiquement, dé-pli-er le texte, rendre ex-pli-cite tout ce qui est contenus im-pli-citement dans ses plis et replis.

 

L’explication relève donc d’un art de la lecture. Elle exige de vous une oreille très fine et de la subtilité. Il faut prêter une attention extrême à ce que dit l’auteur, aux raisons qui l’amènent à dire ce qu’il dit (à la logique de son propos) ainsi qu’aux implications et aux enjeux qui résultent de ce qu’il dit (un texte de philosophie est toujours implicitement prise de position sur un problème, ce qui le distingue voire l’oppose à d’autres positions).

 

2. La règle d’or de l’explication de texte 

 

Le sens du texte doit être tiré de l’examen du texte et d’aucune autre source (on explique le texte par le texte). C'est pourquoi il n’y a pas d’autre méthode que la lecture répétée du texte qui va s’enrichir progressivement jusqu’à en saisir le sens littéral, les implications, les conséquences et l’unité logique.

 

3. Conduite et rédaction de l’explication

 

  • Il faut appuyer l’explication sur le rappel voire la citation du texte et rapporter régulièrement le propos à son auteur.

 

  • Il faut s’attarder sur les termes importants (les définir, les analyser).

 

  • Il faut dégager les implications et les enjeux du propos de préférence au fil de l’explication et non dans une partie séparée, en gardant à l’esprit que puisque le texte est une prise de position sur un problème majeur de la réflexion philosophique, il peut entrer en conflit avec d’autres prises de position.

 

  • Il faut respecter l’ordre du texte, la logique du raisonnement de l’auteur.

 

L'introduction : elle doit introduire au texte en veillant à problématiser son étude, le développement devant être conçu de manière à apparaître comme la réponse que l’auteur apporte au problème énoncé dans l’introduction. Veillez tout particulièrement à la richesse de la construction du problème, qui doit rendre possible une lecture très approfondie du texte.

 

La conclusion : a) elle rappelle le problème énoncé en introduction et b) lui fait suivre la position de l’auteur ("Nous nous étions demandé si… Nous savons maintenant que pour X...) c) et rappelle ses arguments décisifs. On peut formuler éventuellement des réserves sur la position de l’auteur, par exemple en lui opposant la position d’un autre.

 

Le développement :

 

  • On explique linéairement le texte en respectant l’ordre et l’unité du raisonnement de l'auteur.

 

  • Il y a autant de parties dans l’explication que de moments d’argumentation dans le texte. Chaque moment d’explication est relié au suivant par une phase de transition.

 

 

UN EXEMPLE D’EXPLICATION DE TEXTE EN PHILOSOPHIE : SPINOZA, Traité théologico-politique (1670).

 

EXPLIQUEZ LE TEXTE SUIVANT :

 

«Si chacun avait la liberté d’interpréter à sa guise les lois de l’Etat, la société ne pourrait subsister, elle tomberait aussitôt en dissolution, le droit public[1] devenant droit privé[2]. Il en va tout autrement dans la religion. Puisqu’elle consiste non dans des actions extérieures, mais dans la simplicité et la candeur[3] de l’âme, elle n’est soumise à aucun canon[4], à aucune autorité publique et nul absolument ne peut être contraint par la force ou par les lois à posséder la béatitude[5] : ce qui est requis pour cela est un enseignement pieux[6] et fraternel, une bonne éducation et par-dessus tout un jugement propre et libre. Puis donc qu’un droit souverain de penser librement, même en matière de religion, appartient à chacun, et qu’on ne peut concevoir que qui que ce soit en soit déchu[7], chacun aura aussi un droit souverain et une souveraine autorité pour juger de la religion, pour se l’expliquer à lui-même et pour l’interpréter. La seule raison pour laquelle en effet les magistrats[8] ont une souveraine autorité pour interpréter les lois et un souverain pouvoir de juger des choses d’ordre public, c’est qu’il s’agit d’ordre public; pour la même raison donc une souveraine autorité pour expliquer la religion et pour en juger appartient à chacun, je veux dire parce qu’elle est de droit privé.»

 

La connaissance de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

 

  Dans cet extrait de son œuvre Traité théologico-politique Spinoza examine le problème suivant : le droit d’interpréter la religion appartient-il à l’Etat ou à l’individu ?

Une religion est un ensemble de croyances et de rites unissant un groupe autour d'une pratique et d'une foi commune. Dans les religions monothéistes, le noyau de la foi réside dans la croyance en l'existence de Dieu, dont les volontés sont exprimées dans un texte tenu pour sacré.

Dès lors ne serait-il pas dangereux pour la société comme pour la religion de laisser à chacun le droit de décider du sens et de l'importance des questions religieuses?

Si tel n'est pas le cas, comment peut-on justifier une totale liberté de l’individu, "même en matière de religion"?

*

Concernant notre première question la position de l'auteur est annoncée sans ambiguïté dès les premiers mots du texte : si on ne peut pas concevoir que chaque individu possède le droit d'interpréter les lois comme il l'entend, "il en va tout autrement dans la religion". Ce qui indique clairement que pour Spinoza chaque individu a le droit d’interpréter librement la religion, donc de lui accorder la signification et l’importance qu’il juge bonne : peut-être est-il croyant ? Peut-être est-il athée ? Peut-être incline-t-il au judaïsme ? Peut-être à l’Islam ? Il est dans tous les cas souverainement libre d’en décider.

Mais comment l'auteur fonde-t-il ce droit ?

On comprend aisément pourquoi on ne peut pas "interpréter à sa guise les lois de l'Etat" : les lois sont des règles juridiques émanant d'une autorité souveraine. Elles sont communes à l'ensemble de la société et qui lui garantissent un certain ordre. Comme telles ce sont les conditions d’une vie sociale apaisée, voire tout simplement de l’existence d’une vie sociale. D'où leur caractère obligatoire. Dès lors si chacun leur donnait le sens et l’importance qu'il souhaite, elles disparaîtraient, entraînant avec elles la société qui "tomberait aussitôt en dissolution", "le droit public devenant droit privé". Dans cette situation en effet, l'individu reprendrait son indépendance, ce qui ferait disparaitre les termes du contrat à l’origine de la société ; il n'y aurait plus de "droit public", c'est-à-dire de lois et d'autorité communes pour réglementer les rpport des individus dans l'espace public; il n'existerait plus qu'un "droit privé", c'est-à-dire la volonté arbitraire de l’individu. On comprend que la société se désagrège et s'anéantisse.

Mais pourquoi en va-t-il tout autrement dans le cas de la religion? Pourquoi n’est-il pas du ressort de l'Etat de veiller au respect de la religion et à l'orthodoxie des opinions religieuses?

Pour une raison fondamentale : la contradiction existant entre l'idée d'une religiosité authentique et le pouvoir de l’Etat. L’Etat agit par les lois via un pouvoir de contrainte ; or il est contraire à l’essence et à la finalité de la religion de vouloir s'imposer par la force des lois.

Car la religion, rappelle l'auteur, ne consiste pas "dans des actions extérieures", à savoir dans des attitudes ou des comportements sur lesquelles la surveillance et la contrainte de l'Etat pourraient s'exercer; elle réside dans des dispositions internes à l'âme du croyant : sa "simplicité" et sa "candeur", c'est-à-dire la pureté et la sincérité de sa foi, sur lesquelles la loi n'a aucun pouvoir. C'est pourquoi la religion ne peut être "soumise à aucun canon" c'est-à-dire à aucun modèle doctrinal ayant vocation à s’imposer à tous ; ni à "aucune autorité publique" à savoir celle de la loi et de l'Etat. Quelle loi en effet pourrait imposer au fidèle d'être sincère? Ou d'accomplir honnêtement ses obligations religieuses, en particulier s'il cela lui est imposé? L'autorité publique n'a pas le pouvoir de sonder les cœurs ni de les commander. Elle ne peut s'exercer que sur "les actions extérieures" c'et-à-dire sur les comportements en quoi justement la religion ne consiste pas!

D'autre part si la religion a pour finalité de conduire les hommes à "la béatitude", il est absurde de vouloir l'imposer "par la force ou par les lois". La béatitude est en effet l'état de sérénité absolue que connaît celui qui adopte une conduite vertueuse. Comment pourrait-on forcer quelqu'un à cet état? C'est absolument impossible et absurde; ce serait comme exiger que quelqu'un soit heureux. La piété, si on entend par là un attachement sincère aux valeurs de la religion, ne peut donc avoir sa source que dans une disposition interne de l'âme du croyant; il est donc exclut qu'elle soit le fruit de la contrainte physique ou intellectuelle. Elle ne peut donc résulter, comme le dit si bien l’auteur, que d'un "enseignement pieux et fraternel, une bonne éducation et par-dessus tout un jugement propre et libre". Apparaît ainsi la condition essentielle de la pureté de l’attitude religieuse, à savoir l'exercice autonome du jugement, c'est-à-dire la liberté de pensée dans toute son étendue. Il est donc exclu qu'aucun préjugé ou aucun dogme entrave, contraigne ou interdise le libre exercice du jugement si l'on veut que la religion soit préservée dans sa pureté. Limiter par la loi la liberté de pensée, par exemple en cherchant à imposer une interprétation des textes (cas du fondamentalisme), serait donc absolument contraire à l'esprit de la religion, qui exerce une autorité morale sur l’individu, et non une autorité politique.

 

 Une première certitude est donc fermement établie par l'auteur : le "droit souverain », de "penser librement, même en matière de religion". La liberté de penser ne s'arrête donc pas au seuil du sacré! En outre qualifier ce droit de "souverain" revient à dire qu'il appartient exclusivement à l’individu à titre de prérogative inaliénable. Ce que l'auteur rappelle en disant qu'on "ne saurait concevoir que qui que ce soit en soit déchu" : il est en effet impossible de priver quelqu'un de sa capacité à penser. D'où les conséquences juridiques de cette inaliénabilité de la liberté de penser : l'Etat ou les autorités religieuses ont l’obligation de reconnaître et de garantir une entière liberté de conscience aux individus. Chacun possède donc un droit légitime tant de "juger de la religion et de se l'expliquer" que de "l'interpréter", c’est-à-dire que chacun a le droit de croire ou de ne pas croire et pour les raisons qui lui paraissent les plus pertinentes. Le croyant, quant à lui, a le droit d’entendre les textes ou les obligations religieuses selon la compréhension ou la tradition qui est la sienne ; aucune orthodoxie ne peut lui être imposée.

Nous comprenons alors pourquoi l'auteur a affirmé de façon si nette que le cas de la religion était totalement différent de celui des lois de l’Etat ; parce que les lois concernent tout ce qui est « d'ordre public", c’est-à-dire relatif aux rapports entre citoyen à l’intérieur de la société ; tandis que la religion est par essence de "droit privé" c’est-à-dire qui ne concerne que la vie intérieure de l’individu comme il a été montré plus haut. Ainsi le droit positif de l'individu d'interpréter la religion est-il fondé sur son droit naturel inaliénable de penser par lui-même.

Se trouvent donc énoncées et fondées philosophiquement les principes d'une conception laïque de la société et de l'Etat : primauté de la liberté de penser, neutralité de l'Etat, dimension privée de la conviction et de la pratique religieuse, tolérance à l'égard de la pluralité des attitudes religieuses.

                                               *

Nous nous étions demandé s’il revenait à l’individu ou à l’Etat de juger du sens et de l’importance des questions religieuses. Nous savons maintenant que pour Spinoza la religion est par essence d'ordre privé et qu’en conséquence le droit d’en juger appartient à l'individu à l’exclusion de toute autre autorité, qu’elle soit politique ou religieuse. L’auteur a en effet démontré que la liberté de conscience était la conséquence nécessaire de l'inaliénabilité de la liberté de pensée et qu’elle était au fondement de l’authenticité de la foi. Accorder une liberté totale en matière de religion est donc à la fois une nécessité pour l’Etat et un bien pour la religion.

 

[1] Le droit qui relève de l’autorité de l’Etat.

[2] Droit qui relève de la seule autorité de l’individu.

[3] L’absence de malice

[4] Aucun modèle contraignant.

[5] La sagesse et le bonheur qui en résulte.

[6] Qui relève d’une foi authentique.

[7] En soit privé, qu’on le lui ôte.

[8] Les juges en fonction.

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